Et si l’architecture « low tech » permettait de bâtir des villes plus durables ?

Un village olympique en ossature bois. Des écoles aux murs de paille. Une fabrique de terre crue. Ces dernières années, des projets faisant la part belle à des matériaux biosourcés et à des techniques ancestrales revisitées éclosent. Green washing ou amorce d’une transition verte ?

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à propos du contributeur

Christelle Granja

Journaliste à Socialter, le média des transitions et des alternatives.

Au nord de Paris, près de la future gare Pleyel du Grand Paris Express, le futur village olympique accueillera en 2024 deux mille cinq cent athlètes, avant de laisser la place à un éco-quartier de logements, bureaux, commerces, etc. Un vaste chantier, placé sous un signe inattendu : la prédominance du bois. Une douzaine d’immeubles conçus en matériaux biosourcés (bois principalement mais aussi terre) seront bientôt érigés. Objectif affiché des organisateurs : participer à des jeux « neutres en carbone », pour saisir « une opportunité d’amélioration durable des manières de faire en faveur du climat ».

Des JO verts ? L’ambition peut prêter à sourire, au vu des bilans fortement carbonés des précédents rendez-vous sportifs : quelque 3,5 millions de tonnes équivalent CO2 pour Londres 2012, idem pour Rio 2016.

Une frugalité heureuse et créative

Au-delà d’une stratégie de communication, la démarche emprunte à une tendance encore marginale, mais qui s’affirme comme l’une des clés d’une urbanité plus durable : l’architecture low tech. Comprenez : construire avec des technologies plus sobres, moins polluantes et plus durables. C’est ce que défendent notamment les quelque 8 000 signataires – architectes, ingénieurs, urbanistes, scientifiques, étudiants – du manifeste « Pour une frugalité heureuse et créative », qui appellent à sortir la construction « des visions technicistes et productivistes, gaspilleuses en énergie et en ressources de toutes sortes ».

Il y a urgence : en France, le bâtiment représente près de 45 % de la consommation énergétique nationale et plus 25 % des émissions de gaz à effet de serre (1).

La faute, entre autres, au béton, largement utilisé. Sa fabrication est très énergivore, notamment parce que le ciment, qui en est l’un de ses composés essentiels, nécessite d’être chauffé à des températures très élevées. Son transport et sa fin de vie, génératrice de déchets, alourdissent encore son impact environnemental. Or, si le béton est précieux pour réaliser des ouvrages d’art tels que des ponts, « ses performances techniques ne sont pas nécessaires pour des bâtiments plus simples, comme des logements par exemple », explique l’architecte Paul-Emmanuel Loiret, qui défend depuis des années l’usage de matériaux biosourcés.

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Pièges à carbone

Place donc au bois, à la terre, à la paille, ou encore au chanvre, qui combinent de multiples avantages. Ainsi, le bois est un véritable piège à carbone ; quand il est encore à l’état d’arbre, ses feuilles absorbent le CO2 lors de la photosynthèse. Capturé dans le bois, le carbone évite ainsi de se retrouver dans l'atmosphère… Par ailleurs, la légèreté de ce matériau permet un montage deux fois plus rapide par rapport à un chantier béton et acier.

La paille a également un impact environnemental très faible. Ce coproduit de l’agriculture, largement disponible en France, peu cher, est encore aujourd’hui jeté la plupart du temps, alors qu’il ne nécessite pas de transformation. Utilisé comme isolant notamment, il favorise l’isolation thermique et acoustique.

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Quant à la terre crue, outre qu’elle est peu émettrice et permet l’exploitation de gisements locaux, elle offre aussi un certain confort de l’habitat.

« L'inertie de la terre crue régule la température et l’humidité. Comme le bois, elle permet de renouer avec une construction plus sensorielle, appréciée de ceux qui l’habitent. Par ailleurs la construction en terre crue nécessite de s’appuyer sur des savoir-faire artisanaux, à l’inverse de matériaux très technologiques »

Magali Castex, qui pilote pour Grand Paris Aménagement un projet innovant baptisé Cycle-terre

L’initiative s’organise autour d’une fabrique de terre crue, dont la construction débute ce printemps à Sevran (93). L’ambition est de valoriser une partie des millions de tonnes de terres excavées lors des travaux du Grand Paris en de nouveaux matériaux de construction : briques de terre crue ou panneaux d’argile biodégradables et recyclables à l’infini.

Loin de la lubie écolo, l’habitat en terre (en pisé, avec des briques d’adobe, du torchis, de la bauge ou des blocs comprimés) abrite un tiers de l'humanité, en particulier en Afrique et Amérique du Sud (2) ; en France, la pratique a quasiment été abandonnée ces dernières décennies. Au sortir de la deuxième Guerre Mondiale, la nécessité de reconstruire vite et peu cher des villes entières bombardées consacre l’usage du béton au détriment de matériaux biosourcés. Mais l’urgence climatique la remet au goût du jour. Des maisons individuelles sortent de terre ici ou là ; l’été dernier, un groupe scolaire en terre crue a été livré à Nanterre (92).

Cycle de vie

Autre atout des matières biosourcées : lors de la déconstruction, celles-ci peuvent être facilement recyclées. Ce cycle de vie optimisé est l’un des aspects fondamentaux d’une construction low tech pour Quentin Mateus, ingénieur au sein de Low tech lab*. Cette association de passionnés se consacre, entre autres projets, à la conception d'un prototype d’habitat écologique. Elle défend un bâti qui réponde à un critère d’utilité (combler un besoin essentiel), de durabilité (être économe en énergie, en ressource, repérable, robuste, modulaire), et d’accessibilité (ouvert à des savoir-faire accessibles, à des techniques libres de droit).

« Est-ce que c’est vraiment nécessaire ? Est-ce que c’est la solution la plus durable pour le faire ? Est-ce que cela m’offre plus d’autonomie ? On pourrait résumer la démarche low tech à ces trois questions »

Quentin Mateus, ingénieur au sein de Low tech lab

À ce titre, le village olympique a encore des progrès à faire… Mais ce grand chantier offre un signal positif à la filière de la construction biosourcée, qui peine à s’imposer dans un secteur français du BTP dominé par la performance technique et par les leaders mondiaux du béton (Bouygues) et du ciment (Lafarge). Ainsi, en 2019, on comptait en France un peu plus de 400 constructions en paille réalisées seulement (3). Quant à l’usage du bois comme système constructif, il représente 4,3 % de part de marché en logements collectifs et 9,4 % pour la maison individuelle. Soit près de 15 000 habitats individuels construits en bois en 2018… Un chiffre encore faible, mais en augmentation (4). Pourquoi pas vous ?

* Le Low Tech Lab est soutenu par la Fondation d'entreprise du groupe Macif
(1) http://www.batiment-energiecarbone.fr
(2) http://craterre.org/
(3) http://www.constructionpaille.fr/statistiques/
(4) https://www.codifab.fr/sites/default/files/enquete_constructionbois_juin_2019.pdf

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