Comment s'engage la Gen Z ?

On les dit parfois égoïstes et déconnectés des réalités du monde, pourtant les enfants de la « Gen Z », c’est-à-dire la génération née à l’aube des années 2000, ont leur propre vision de la générosité et de l’engagement. Au point qu’ils ont développé de nouvelles solutions pour donner et multiplier les collectes de fonds fructueuses grâce au digital. Enquête.

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« 3,5 millions d’euros récoltés. Respect à vous. Quand on se retrouve unis comme ça pour la bonne cause, c’est juste magnifique. Vous êtes des monstres. » C’est sur ces paroles enjouées postées sur Instagram que le streamer (celui qui diffuse et propose son contenu en ligne, en direct ou en différé léger, ndr) français Amine MaTue a réagi, le 20 janvier 2025, à la clôture de l’événement Stream for Humanity. Un marathon caritatif de trois jours, diffusé sur Twitch (service de diffusion en direct de vidéos, populaire dans le domaine des jeux vidéo, de la retransmission de compétitions esport ou d’événements divers), ayant pour objectif de récolter des dons pour les victimes de conflits armés au bénéfice de l’association Médecins sans frontières. Pour la première édition de cette collecte de fonds, c’est plus de 26 streamers qui se sont réunis sur la plateforme, dont quelques grands noms du web comme Squeezie, deuxième youtubeur de France, et Inoxtag, dont le documentaire sur l’Everest a été la vidéo la plus vue de 2024 sur YouTube en France. Aussi spectaculaire qu’elle puisse paraître, cette collecte est loin d’être un cas isolé. Ces dernières années, ce genre de mobilisations en ligne — touchant des participants ayant une moyenne d’âge ne dépassant pas 30 ans — se multiplient. L’un des plus importants étant le ZEvent, rassemblement de stars du web français créé en 2016, qui, lors de sa dernière édition, a récolté plus de 10 millions d’euros au profit de cinq associations luttant contre la précarité.

Preuve d’une bascule dans l’univers du don où les seniors ont longtemps été les plus généreux ? Pas complètement : les plus de 70 ans sont encore et toujours les plus gros donateurs (33 % contre 4 % pour les moins de 30 ans). Mais si les gens âgés restent les premiers à dégainer le chéquier, ils ne sont plus les seuls. Selon le dernier bilan dressé en 2023 par l’association Recherches et Solidarités sur la générosité des Français, les 18-27 ans sont ceux qui consentent « l’effort de don » le plus important. En effet, les dons aux associations de cette tranche d’âge représentent 2,5 % de leur revenu annuel moyen. Et pour ce qui est des bénéficiaires, toujours selon Recherches et Solidarités, trois causes semblent les mobiliser par ordre de priorité – la pauvreté et l’alimentation, l’écologie et les animaux, et l’enfance.

Un engagement protéiforme

Si les « digital natives » s’engagent davantage que les « boomers » (nés entre 1946 et 1964, ndr), la génération X (nés entre 1965 et 1979, ndr) ou les « millenials » (nés entre 1980 et 1994, ndr), c’est justement parce qu’ils maîtrisent – comme leur nom l’indique – le numérique sur le bout des doigts. « Le vecteur digital est énorme pour la solidarité, confirme Élisabeth Soulié, anthropologue et auteure de La Génération Z aux rayons X (2020). Grâce au numérique, cette jeune génération a massivement recours aux “microdons”. Chacun peut mettre un peu, et au bout du compte, ça a un impact extrêmement important. » La mutation ne s’arrête pas là : ces quinze dernières d’années, le nombre de portails de collecte en ligne a explosé, les réseaux sociaux Facebook, Instagram ou encore TikTok ont lancé les « donation stickers » (« autocollants de don », en français) permettant aux utilisateurs d’effectuer des collectes de fonds personnelles, et même les ONG ont adapté leurs quêtes de terrain pour que le don par carte bancaire soit possible… Zoom, la plateforme de visioconférence, a elle aussi rejoint l’aventure caritative en proposant d’ajouter un bouton de don dans ses réunions virtuelles. Bref, aujourd’hui, grâce aux outils numériques, s’engager ou faire un don n’a jamais été aussi facile. « En 2023, la part du don en ligne représente 30 % dans la collecte de dons ponctuels (contre 20 % en 2019), indique Pauline Héry, chargée de plaidoyer chez France Générosités. Et selon notre baromètre “image et notoriété”, 52 % des 25-34 ans déclarent avoir participé à des cagnottes en ligne pour des associations ou fondations. »

Bien qu’ils soient souvent considérés comme immatures et naïfs, comme le souligne la journaliste Salomé Saqué dans son livre Sois jeune et tais-toi !, force est de constater que les 12-27 ans ne sont pas sans courage lorsqu’il s’agit de se retrousser les manches pour agir. Partout dans le monde, jeunes hommes et jeunes femmes se bougent pour que ce dernier tourne plus rond : Greta Thunberg, Camille Étienne et tant d’autres. La liste est longue. L’engagement prend aussi bien des formes. À défaut de pouvoir donner son argent, Tim Deguette préfère donner son temps aux associations, comme bénévole lors de maraudes. Originaire de Lille, cet étudiant en alternance à l’agence de marketing Isoskèle a récemment fait parler de lui, après avoir lancé « Solly », la première carte de paiement pour les sans-abri qui permet de dématérialiser les dons directement depuis son smartphone. « L’idée, c’est d’empêcher l’habituelle phrase “désolé, je n’ai pas de monnaie”, tout en redonnant confiance aux donateurs, raconte‑t-il. Car après sondage, on s’est rendu compte que 70 % des Français avaient une crainte sur la destination de leur don, considérant qu’il pouvait payer l’une des quatre addictions : alcool, tabac, drogue et jeu d’argent. » À seulement 22 ans, ce jeune entrepreneur a ouvert en avril 2024 une campagne de financement participatif pour « Solly ». Ses trois objectifs : récolter 15 000 euros, trouver 500 donateurs et obtenir trois parutions médiatiques. Après seulement 39 jours de campagne, le projet récolte près de 80 000 euros, rassemble 1 400 donateurs et apparaît déjà dans une trentaine de médias.

Génération altruiste

« On a souvent considéré la Gen Z comme égoïste, alors qu’en réalité, elle est très altruiste, constate l’anthropologue Elisabeth Soulié. Elle est sortie de l’individualisme pour aller vers le collectif. » Ainsi, la participation bénévole des jeunes est aujourd’hui à son plus haut niveau depuis 2016. Pauline Héry, de France Générosités, confirme que 29 % des 16-24 ans déclarent avoir une activité bénévole. « C’est une génération qui ne se projette quasiment plus, explique Élisabeth Soulié. Pour elle, l’expérience l’emporte sur la possession. Elle va donc privilégier le temps présent, elle va s’engager et rester fidèle à son engagement tant que ça la nourrit émotionnellement. » L’anthropologue parle d’une nouvelle solidarité « hyper‑personnalisée » : je m’engage parce que cette cause me concerne, parce que le fait de pouvoir agir participe à l’intelligence du monde. « Cette génération fait aussi le pari du relationnel, poursuit-elle. Face au grand défi qui l’attend, elle se dit : “Seule, je ne peux rien faire, c’est ensemble qu’on y arrivera.” » C’est aussi ce qui pousse les influenceurs à s’engager. À l’instar d’Arkunir qui, fort de son million d’abonnés sur le réseau X (ex-Twitter), a lancé le 18 novembre dernier un appel à réaliser le record d’Europe de don du sang. Promesse tenue, puisqu’en seulement quatre jours, Florian Gripon de son vrai nom est parvenu à réunir plus de 4 000 donateurs. Et ce n’était pas la première fois que l’influenceur de 22 ans usait de sa popularité pour servir une bonne cause. En 2021, il avait déjà récolté 47 500 euros pour la Fondation 30 millions d’amis, en faisant le tour du monde sur Google Maps dans un live Twitch de 48 heures. De quoi donner des idées aux ONG traditionnelles qui, pour toucher une cible plus jeune, n’hésitent plus à faire appel aux créateurs de contenu. Le 20 janvier dernier, par exemple, l’Unicef a annoncé la nomination de l’influenceuse Paola Locatelli (2 millions d’abonnés sur Instagram) en tant qu’ambassadrice. « Ce sont de vrais porte-parole, estime Tim Deguette. Aujourd’hui, si Squeezie ou Léna Situations décident de donner, leur communauté va donner. »

1 500 podcasts pour appeler au don

Inspiré du Téléthon et du ZEvent, le Podcasthon a fait son retour pour une troisième édition du 15 au 21 mars 2025. Durant cette période, des milliers d’animateurs de podcasts francophones (et anglophones) ont diffusé un épisode inédit dédié à une association. « Les podcasteurs ont raconté les actions menées par l’organisme caritatif de leur choix, quels sont ses enjeux, et ont invité leurs auditeurs à s’engager à leur tour, que ce soit en relayant l’info, en donnant de leur temps ou de l’argent », explique Jérémie Mani, cofondateur de l’association Altruwe, à l’origine de l’événement. « Ça permet de toucher un nouveau bassin de population, notamment les jeunes, dont les écoutes sont en hausse de 10 % pour les 12‑24 ans. »

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