Le sport est-il encore un bastion sexiste ?

Si l’égalité d’accès au sport des filles progresse d’année en année, le chemin reste encore périlleux pour les sportives, tant pour accéder à leur discipline que pour réussir à en vivre comme leurs homologues masculins. Quels sont les obstacles qu’elles rencontrent le plus souvent, et comment rendre le sport plus égalitaire ?

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à propos du contributeur

Léa Dang

Journaliste à Socialter, le média des transitions et des alternatives.

L’accès au sport pour les femmes est d’abord un combat mené depuis de nombreuses années. « Au XIXe siècle, les femmes jouaient au tennis, mais c’était plus un moyen de rencontre des jeunesses dans les milieux bourgeois qu’une véritable pratique sportive », affirme Catherine Louveau, sociologue du sport spécialisée sur les conditions d’accès des femmes aux pratiques sportives. Les femmes ont dû attendre 1950 pour obtenir une licence de la fédération sportive de cyclisme, 1970 pour le football et 1987 pour la boxe (1).

Elles sont d’abord acceptées dans les sports jugés compatibles aux normes sociales féminines en vigueur : « Après le tennis, les disciplines ouvertes aux femmes sont la natation et les gymnastiques. Avec ces activités, elles peuvent “travailler leur féminité”, c’est-à-dire muscler leur corps. L’idée, c’est de fabriquer des belles femmes et des bonnes mères », ajoute Catherine Louveau. De même pour les compétitions sportives. Ce n’est qu’en 1928, après avoir essuyé plusieurs refus, que les femmes ont la possibilité de participer aux épreuves olympiques. « Pierre de Coubertin [l’initiateur des Jeux Olympiques modernes à partir de 1896, ndlr] était hermétique à la pratique du sport par les femmes. Pour lui, le sport visait à viriliser les hommes et à les préparer à l’affrontement. »

En effet, dès que les activités sportives impliquent de la force, du combat et de l’affrontement physique, elles s'inscrivent, depuis l’antiquité, dans le registre du masculin. Pour Catherine Louveau, cela s’illustre toujours aujourd’hui : « J’entends encore des personnes dire que le rugby n’est pas fait pour les femmes. » De même lorsqu’il s’agit d’épreuves sportives d’endurance. En 1928, le 800 mètres d’athlétisme fait son apparition aux jeux olympiques : « À l’arrivée, les sportives sont – à juste titre – fatiguées. Certaines s’effondrent sur les pistes, grimaçantes après l’effort. C’était tellement choquant pour l'époque de voir des femmes dans ces circonstances qu'ils ont supprimé l’épreuve du 800 mètres, qui n’a été réautorisée qu’à partir des années 1960 », raconte la sociologue.

Preuve qu’une femme, dès qu’elle s’éloigne des stéréotypes liés à son genre (ici, une femme « grimaçante » est jugée disgracieuse), est considérée comme subvervise.

Des freins encore importants

D’après Catherine Louveau, les femmes font l’objet d’un véritable « procès de virilisation » dès qu’elles sont jugées trop masculines. Ce n’est pas un hasard si l’haltérophilie, le taekwondo, le lancer de marteau, la lutte ou encore la boxe n’ont pu être pratiqués par les femmes qu’à partir des années 2000 lors des Jeux Olympiques. Aujourd’hui encore, malgré la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes – qui introduit l’obligation de représentation dite « proportionnelle » au nombre de femmes pratiquantes – les inégalités homme-femme dans le sport se jouent à tous les niveaux.

Pour Nicole Abar, ancienne joueuse de l’équipe de France de Football, connue pour son engagement en faveur de l’égalité d’accès au sport pour les filles et les garçons : « Les représentations stéréotypées freinent l’accès aux pratiques sportives. »

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« Les petites filles n’osent pas demander de participer à une activité qui, a priori, est connotée masculine et certains parents ne vont pas les encourager non plus. »

Nicole Abar, ancienne joueuse de l’équipe de France de Football

Les structures, elles aussi, ne sont pas toujours adaptées. « Malgré les programmes fédéraux, tous les clubs ne sont pas prêts à recevoir des filles, regrette Nicole Abar. Pour accueillir une nouvelle pratique, ou une nouvelle catégorie, que ce soit des femmes ou des personnes en situation de handicap, il faut trouver des créneaux, et il n’y a pratiquement pas d’accès aux équipements sportifs pour les femmes, car ils sont saturés par les hommes. » À cette répartition inégalitaire des infrastructures sportives (stades, vestiaires…), s'ajoutent les inégalités économiques.

Si la fédération américaine de football a annoncé, le 18 mai 2022, avoir conclu un accord pour l’égalité des salaires entre les joueurs et les joueuses, les inégalités perdurent en France entre les joueurs et joueuses de football. Le footballeur Lionel Messi aurait touché plus de 100 millions d’euros en 2019 d’après le magazine France Football(2), alors que Wendie Renard et Amandine Henry, les deux joueuses françaises les mieux payées, toucheraient 30 000 euros par mois (soit 360 000 euros sur un an) selon le journal l’Équipe(3).

De plus, les joueuses ont un statut amateur, contrairement aux hommes qui sont sous contrat professionnel : « Les footballeuses ont un contrat fédéral avec les clubs. Elles sont souvent à temps partiel et doivent dans ce cas compléter leur revenu avec une autre activité professionnelle », rappelle l’ancienne footballeuse. En travaillant à côté, les athlètes féminines sont moins disponibles psychiquement et physiquement pour leur compétition.

Le football féminin ne serait-il pas encore assez rentable ? Pour Nicole Abar : « Il y a un souci d’économie de marché. Lors des compétitions, les stades sont quasiment vides, le merchandising est très limité et les montants des contrats publicitaires et des sponsors n’atteignent pas des sommets. Pour qu’il y ait plus d’équilibre, il faudrait créer de l’audience, mais aujourd’hui il y a encore un déficit monstrueux de visibilité. »

En effet, d’après le rapport du CSA paru en septembre 2017, les femmes représentaient entre 14 et 18, 5 % du volume horaire de représentation d’activité sportive à la télévision, contre une fourchette de 16 et 20 % en 2016(4).

Vers un sport moins sexiste

Les statistiques montrent que les femmes n’ont qu’une place marginale et secondaire dans le milieu sportif(5), qu’elles soient arbitres, entraîneuses, journalistes ou dirigeantes. Concernant la pratique, elles représentent au total un peu plus de 38 % des licenciés – tous sports confondus – en 2018, alors qu’elles sont plus nombreuses dans la population française. Selon l’INSEE, au 1ᵉʳ janvier 2021, les femmes représentent 51,7 % de la population en France – soit 2,3 millions de plus que les hommes.

Lorsqu’on se penche sur la répartition, on constate que certains sports restent toujours majoritairement pratiqués par des hommes (comme le football, le rugby ou le tir…) et d’autres, principalement par des femmes (comme la gymnastique, le patinage ou la natation synchronisée…) Si l’écart reste important, les pratiquantes des sports jugés « masculins » sont de plus en plus nombreuses. Par rapport à 2011-2012, le nombre de footballeuses licenciées a par exemple été multiplié par deux et s’élève aujourd’hui à 193 882 selon la Fédération Nationale de Football(6). La Fédération Nationale de boxe compte quant à elle 17 436 licenciées contre 7133 en 2011-2012.

Pour l’ancienne joueuse de football Nicole Abar – qui a réussi, en 2002, à faire condamner pour la première fois un club de football pour sexisme – cela s’explique par l’évolution des représentations : « Faire du foot pour une fille n’est plus considéré comme une bizarrerie. Elle peut rêver de rentrer en équipe de France, de rejoindre des grands clubs… » Or, le travail de sensibilisation n’est pas terminé, pour Nicole Abar, qui reprend les ateliers Passe la balle qu’elle avait mis en place l’année 2000, destinés aux enfants de la primaire à la 6e.

« L’objectif est de travailler avec les petits sur les représentations des filles dans le sport car, dès l’âge de 4 ans, elles perdent en motricité, ce qui est pourtant une composante essentielle de la construction de l’estime et de la confiance en soi. »

Nicole Abar

Grâce à ses ateliers centrés sur la motricité et le langage, elle espère déconstruire les stéréotypes dans le sport et permettre aux filles d’oser se déployer dans l’espace autant que les garçons car, pour Nicole Abar : « Encourager la mobilité des petites filles aujourd’hui, c’est leur donner toutes les chances d’avoir confiance en elles demain. »

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