Sur TikTok, le stage de troisième inspire aux élèves concernés des contenus en pagaille. Tips pour dénicher une entreprise en or, anecdotes sur l’absurdité des missions demandées, refus en cascade ou encore, mini-vlog contant des stages de rêve ; chacun y va de son récit. Sarah, 15 ans, raconte face caméra sur un fond musical rythmé : « Faire son stage en crèche, c’est : se prendre de la purée dessus, avoir toutes les comptines de bébé en tête, s’attacher et être triste quand on doit les quitter. » D’autres camarades semblent moins ravis. « En pharmacie, mon maître de stage m’a demandé de classer tous les médicaments par nom pendant des jours », se désole Anna, 14 ans.
Stage de 3ème, en quoi ça consiste ?
D’une durée de 5 jours consécutifs ou non, ce stage est obligatoire pour tous les élèves de troisième. L’idée : faire connaissance avec le monde du travail. Qu’il suscite des vocations ou non, il marque souvent l’esprit des collégiens. « Je comptais les jours. J’étais chez un réparateur informatique, je passais mes journées sur YouTube vu qu’on était en période creuse », confie Théo, collégien de 15 ans passionné de jeux vidéo. Comme pour beaucoup d’autres élèves, il peut rapidement être synonyme d’ennui, voire d’un manque de sens. « Une semaine, c’est trop court pour comprendre quoi que ce soit », ajoute-t-il. D’autres découvrent la dure loi du travail. « Mise en rayon en grande distribution, je travaillais vraiment comme un employé même à 15 ans, c’est fatigant en fait », lâche Lucas sur Twitter.
Le plaisir de partager son métier-passion
Si l’accueil des stagiaires peut parfois consister pour les employeurs à combler le manque de missions par la fameuse commande excessive de cafés, certains voient dans l’accueil d’un collégien un atout considérable. Bérangère, agricultrice et éleveuse dans les Ardennes raconte avoir pris « un grand plaisir à partager sa passion avec une jeune fille intéressée ». À ses yeux, la visibilité des métiers agricoles passe aussi par la transmission aux plus jeunes. « Si personne ne leur montre ce qu’il peut y avoir de beau dans le quotidien des éleveurs en France, comme la proximité avec la nature et les bêtes, personne n’aura envie de rejoindre le travail de la terre », plaide-t-elle. Pour la sociologue Aude Kerivel, le stage de troisième représente aussi la première expérience inégalitaire du monde du travail. Car si certains arpentent avec joie les milliers de mètres carrés d’un aéroport international, ses duty free et ses atmosphères de grands départs, d’autres se rabattent sur ce qu’il reste. Parents sans relations, élèves issus de quartiers prioritaires de la ville ou de milieux ruraux… Faute d’avoir un réseau familial, trouver un stage de troisième peut se transformer en un véritable parcours du combattant. Alors certains glissent de la salade et des oignons dans les wraps des fast-foods tenus par des amis de la famille. Censée faire découvrir le monde du travail, cette première expérience peut aussi contrarier l’orientation professionnelle de certains élèves. « Essuyer une dizaine de refus pour un premier stage d’observation, qui plus est non payé, impacte forcément la future vie professionnelle de ces élèves », écrit Aude Kerivel.
Une première expérience inégalitaire
Si le sujet commence à émerger dans les médias nationaux (Le Monde a récemment consacré un article aux « stages kebab » des élèves des banlieues défavorisées), le sujet est relaté depuis dix ans dans la presse quotidienne régionale. En 2010 déjà, elle se faisait l’écho d’une étude nommée L’égalité des chances s’arrête à la supérette, publiée par l’Observatoire des inégalités. L’organisme avait pris l’exemple de trois collèges dans trois territoires aux particularités sociales et culturelles différentes. Dans un collège du Ve arrondissement de Paris, les élèves intègrent des sociétés de production, des banques ou encore des cabinets d’architecte. En milieu rural, dans les Côtes-d’Armor, les élèves de troisième découvrent des exploitations agricoles ou les boulangeries pâtisseries du coin. À Aubervilliers, dans le 93, c’est Anais Boutique et des plombiers indépendants qui avaient accueilli des élèves de troisième. Depuis 2018, la plateforme gouvernementale Mon stage de troisième permet désormais aux élèves de troisième des collèges du réseau éducation prioritaire (REP et REP+) d’avoir accès à une offre de stages parallèle, dans l’espoir de réduire l’écart entre les jeunes.