Diplôme n'est pas forcément égal à emploi
Ambre se rappellera longtemps de son entrée sur le marché du travail en mars 2020. Confiante après l’obtention d’un Master 2 en communication effectué en alternance, son début de carrière professionnelle s’est vu stoppé net par la crise sanitaire et les trois confinements successifs. Déjà à l’époque, lorsqu’elle parle de sa difficulté à trouver un emploi, on la renvoie à son jeune âge et à un stéréotype qui a la peau dure : les jeunes ne voudraient plus travailler, ou, en tout cas, seraient partisans du moindre effort. « Après six années d’études, deux mémoires et des efforts quotidiens pour trouver un job dans un contexte de crise sanitaire, sous-entendre que quand on veut on peut, c’est plus que décourageant », se souvient-elle. Après plus de trois années passées en communication institutionnelle dans une commune des Alpes-Maritimes, la jeune femme s’est de nouveau retrouvée au chômage pour suivi de conjoint dans une autre région. « Là encore, on a mis la difficulté à trouver un emploi sur le dos de mon jeune âge, en m’avertissant bien que je n’allais pas éternellement avoir des aides. Comme si c’était ce à quoi j’aspirais ! », blâme-t-elle. En attendant de trouver un emploi correspondant à ses qualifications dans sa nouvelle région, elle travaille temporairement dans la restauration.
Stigmatisation des demandeurs d’emploi
Bien que stigmatisantes, les petites phrases adressées aux demandeurs d’emploi sont cohérentes avec l’image négative qui leur colle à la peau. En 1981 déjà, l’étude réalisée par le sociologue Dominique Schnapper en France montre, par le biais d’une recherche par entretiens libres auprès d’une centaine de chômeurs, que ceux-ci apparaissent aux yeux des autres et à leurs propres yeux comme étant des « parasites », des « fainéants » et des « profiteurs ». Un stéréotype qui perdure aujourd’hui selon David Bourguignon, professeur en psychologie sociale à l’Université de Lorraine, qui s’est intéressé à la manière dont sont perçus les chômeurs en France, en Belgique et dans d’autres pays européens. Là encore, les qualificatifs « fainéants », « incompétents », « apathiques » apparaissent. « Ce que nous avons montré, c’est que les personnes qui y étaient confrontées étaient moins motivées à rechercher du travail », explique-t-il dans une interview réalisée par l’association Unédic, sur la vision déformée des Français quant au profil des chômeurs.
« La recherche d’emploi, c’est du travail ! »
Christophe Bort, directeur général de l’association de réinsertion Tous Tes Possibles, est témoin chaque jour d’attitudes inappropriées face aux demandeurs d’emploi. « Souvent, on va dire aux chômeurs qu’ils ont du temps devant eux. Mais être au chômage et être proactif, c’est parfois envoyer des dizaines de candidatures par jour. La recherche d’emploi, c’est du travail ! », rappelle-t-il. C’est ce qu’essaye de faire comprendre Jade, vidéaste parisienne de 26 ans, à ses parents, qui estiment que leur fille est capricieuse dans sa recherche de travail. Diplômée d’une école de journalisme depuis deux ans, elle peine à décrocher un contrat stable, n’ayant pas d’autres choix que d’enchaîner des contrats précaires ou à la mission, dans un secteur de l’audiovisuel structurellement bouché : « Ne pas voir que ce sont les conditions d’entrée sur le marché du travail qui sont plus difficiles qu’à leur époque me met en colère. » Aux yeux de Christophe Bort, la culpabilité peut être contre-productive et provoquer du chômage longue durée. « Beaucoup de demandeurs d’emploi ont intégré qu’ils ne sont pas désirables sur le marché du travail et ont une estime d’eux-mêmes dégradée. L’idéal est de tenir un discours positif et valorisant, sans extrapoler », conseille le directeur associatif.
Souvent subi, le chômage peut aussi se révéler être une période de rééquilibrage et de précision de son projet professionnel. Sur le plateau de C à Vous, sur France 5, Kyan Khojandi, réalisateur de la série à succès Bref, s’est dit reconnaissant envers le système qui lui a permis de ne pas définitivement basculer. « J’étais au RSA le jeudi et le mardi suivant dans les locaux de la direction des programmes de Canal+ avec des gens emballés », a-t-il déclaré dans une allocution remarquée. En effet, 37 % des sondés d’une étude sur le chômage assurent qu’ils n’auraient jamais pu mener à terme ces changements de vie professionnelle sans la possibilité de recevoir des droits au chômage. Une énième raison de changer de ton face aux personnes en recherche d’emploi ?