« La non-consommation d’alcool devient un choix conscientisé et militant chez certains étudiants »

Ne pas boire d’alcool quand on est étudiant(e), c’est se confronter régulièrement à une pression de groupe. Décryptage de la situation avec Nicolas Palierne, spécialisé dans l’étude de l’alcoolodépendance, doctorant en sociologie au sein du laboratoire d’études de l’EHESS, ingénieur d’études à l’INSERM et chargé d’enseignement à l’Université de Poitiers.

Mis à jour le 17/07/2025

Temps de lecture : 7 min

à propos du contributeur

so press
Rédaction SoPress

Avec SoPress, la Macif a pour ambition de raconter le quotidien sans filtre.

Comment l’alcool rentre-t-il dans la vie des adolescents et des jeunes adultes ?

L’entrée dans l’alcoolisation se fait souvent vers 13/14 ans avec un premier verre dans le cadre familial ou avec des amis. Puis, dans les années lycée, la consommation des adolescents se régularise lors de moments festifs. Enfin, pendant la vie étudiante, la majorité des jeunes consomme de l’alcool. Il y a une pression sociale forte, un phénomène de groupe. L’alcool est très lié à la fête durant les années étudiantes : c’est difficile de les dissocier. On peut entendre d’ailleurs souvent des phrases comme « si tu ne bois pas (d’alcool), tu ne fais pas la fête » ou « si tu ne bois pas (d’alcool), tu n’es pas drôle ».

Quels sont les risques ?

L’alcoolisation des étudiants est considérée comme problématique. Elle focalise les inquiétudes, car la recherche d’ivresse a des conséquences néfastes. Que ce soit des comas éthyliques, des traumatologies avec des accidents de la route ou des accidents domestiques. L’alcoolisation est aussi souvent présente dans les violences physiques, les violences sexuelles, etc. De plus, l’alcoolisation chez les étudiants crée la population dépendante de demain.

La consommation d’alcool peut-elle amener à d’autres consommations ?

On observe un lien étroit entre le niveau de consommation d’alcool et la probabilité de dériver vers d’autres produits psychoactifs comme le cannabis. Comme cela est mentionné dans l’étude Modération et sobriété chez les étudiants : entre éthos de vie et résistance aux normes que j’ai coécrite avec Ludovic Gaussot et Loïc Le Minor.

Peut-on dire que la France est un pays où la consommation d’alcool a longtemps été banalisée ?

Absolument. Il y avait une tradition française de l’alcool. C’était un phénomène culturel et générationnel. Longtemps, boire du vin à tous les repas a été quelque chose de normal. C’est en déclin, en particulier chez les jeunes. Aujourd’hui, dans la population française, il ne reste qu’une minorité de personnes qui ont une consommation quotidienne d’alcool. À l’inverse pourtant, le rapport à l’ivresse est plus fort, notamment chez les jeunes adultes, avec une consommation d’alcool ponctuelle qui est importante, avec 5 ou 6 verres dans une soirée ou une nuit(1). Les étudiants ont cette pratique occasionnelle centrée sur les week-ends et les vacances, pendant des moments festifs. Cette culture, à l’anglo-saxonne, s’est développée en France dans les années 1990 et 2000. Pourtant plus récemment, il y a eu un mouvement chez les étudiants et les jeunes adultes vers une moindre consommation d’alcool, voire une non-consommation.

Est-ce à dire que la situation de l’alcoolisation va en s’améliorant ?

Globalement, il y a un déclin très fort de l’alcoolisation dans la société française. La vente d’alcool a été divisée par deux et demi des années 1960 à aujourd’hui, selon les chiffres de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT). Pour les Français de plus de 15 ans, la consommation est ainsi passée en cinquante ans de 26 litres d’alcool par an à 11 litres par an.

Revenons sur l’abstinence alcoolique de certains étudiants. Comment expliquez-vous ce phénomène récent ?

Depuis la médiatisation du Dry January(2), il y a environ cinq ans, les jeunes se questionnent davantage sur leur consommation d’alcool et on constate que le nombre d’étudiants qui ne consomment plus d’alcool s’accélère. Cette progression est clairement marquée et ce phénomène d’abstinence alcoolique a gagné en visibilité. D’autant qu’il y a des vidéos sur YouTube ou des blogs avec d’anciens consommateurs d’alcool qui incitent les autres jeunes à ne plus boire et à parler des bénéfices d’une vie sans alcool.

1 jeune sur 2

déclare consommer régulièrement de l'alcool et 27% en consomment de façon quotidienne ou hebdomadaire. (3)

Quels sont les effets bénéfiques d’une non-consommation d’alcool ?

Évidemment, il y a ce choix de préserver sa santé, d’être en meilleure forme physique et aussi de ne pas ressentir des lendemains difficiles, avec l’effet « gueule de bois ». Il y a également, pour les jeunes générations, cette envie de contrôle, de choix de vie. Avec une réflexion sur l’image qu’on renvoie ainsi que les photos compromettantes qui pourraient surgir sur les réseaux sociaux et ternir sa réputation.

Quelles sont les raisons qui poussent certains étudiants à ne pas boire d’alcool ?

Cela peut être des raisons médicales, religieuses, sportives. Cela peut être aussi par peur de la perte de contrôle, en particulier pour les jeunes femmes au regard des agressions ou des violences sexuelles qu’elles pourraient subir si elles étaient alcoolisées. Il y a aussi des raisons liées au dégoût de l’alcool ou à l’interdit moral de sa consommation. Certains jeunes peuvent également avoir des raisons familiales s’ils ont eu un parent dépendant à l’alcool. Enfin, la non-consommation d’alcool devient également un choix conscientisé et militant, voire politique, comme celui par exemple de la non-consommation de viande. Il y a d’ailleurs un discours plus militant des abstinents alcooliques. Un discours plus audible et plus impactant. C’est assez récent.

Cette catégorie des étudiants abstinents alcooliques semble être en progression.

Aujourd’hui, les jeunes, et les étudiants en particulier, s’affirment davantage et n’ont pas peur d’aller contre cette norme sociale de la consommation d’alcool. C’est un choix fort de contrôle qu’ils font sur leur vie. Les chiffres sont encourageants. En 2002, seulement 5 % des jeunes de 17 ans n’avaient jamais consommé d’alcool. En 2017, ce chiffre est monté à 15 %. Sous l’angle de la santé publique, c’est quelque chose de très positif !

« Les addictions et leurs conséquences chez les jeunes »

La Macif a lancé avec Ipsos le 1er baromètre sur les consommations de substances addictives chez les 16-30 ans afin de proposer des solutions de prévention adaptées.

Article suivant
The website encountered an unexpected error. Please try again later.