Devenir propriétaire : quelles nouvelles stratégies de financement ?

Face aux inégalités croissantes dans l’accès à la propriété, les Français se tournent vers des solutions alternatives de financement, comme la coacquisition, le régime du bail solidaire ou l’habitat participatif. Des phénomènes qui restent marginaux, mais qui ouvrent d’autres voies, sans forcément de solutions miracles.

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So press
Rédaction SoPress

Avec SoPress, la Macif a pour ambition de raconter le quotidien sans filtre.

L'éclairage avec trois experts du logement :

  • Clara Wolf Cheffe des études économiques au sein du ministère du Logement
  • Pierre Madec économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), spécialiste du logement
  • Cécile Delache Cofondatrice de l’association Habitat participatif en Nord, qui réside dans un habitat participatif à Villeneuve-d’Ascq depuis 33 ans

Accède-t-on aussi facilement à la propriété aujourd’hui qu’au début des années 2000 ?

Clara Wolf : En apparence, le taux de propriété en France est stable depuis plus de 20 ans. En 2023, 57,2 % des ménages étaient propriétaires de leur résidence principale en France hors Mayotte, ce qui représente environ 6 ménages sur 101. Au début des années 2000, nous étions à 56 % de ménages propriétaires. Mais ce que ces chiffres ne traduisent pas, c’est l’inégalité croissante dans l’accès à la propriété pour les jeunes ménages modestes (22-44 ans). 32 % de ces jeunes ménages étaient propriétaires en 1973. En 2013, ils ne sont plus que 16 %.

Comment expliquer le recul de l’accès à la propriété pour ces jeunes ménages modestes ?

Pierre Madec : La crise du logement est multifactorielle. Il y a le vieillissement de la population d’abord, qui pèse sur la quantité de logements disponibles sur le marché. Il faut ajouter à cela d’autres facteurs conjoncturels, comme la hausse des prix de l’immobilier, et plus récemment la hausse du taux moyen des crédits ou encore la durée des prêts accordés. Mais l’une des explications principales est l’évolution des structures familiales, notamment l’explosion des familles monoparentales. Sur les 8 millions de familles avec enfants de moins de 18 ans, 1,9 million sont des familles monoparentales, soit 23 % en 2020. Cette part a fortement augmenté depuis 1990 où elle s’élevait à 12 %2. Et quand un couple avec un enfant divorce, il leur faut trouver deux fois le même logement dans la même ville. Une mission quasi impossible, notamment dans les grandes métropoles qui concentrent l’emploi, les services publics et les écoles.

Les dons familiaux ont-ils un rôle important dans le creusement des inégalités. Pouvez-vous développer ?

Dans un rapport rédigé par l’Institut national des études démographiques (Ined), sur les inégalités d’accès à la propriété au sein des jeunes en France3.

Pierre Madec : Les couples et familles modestes sont le plus souvent eux-mêmes issus de classes sociales modestes, et sont donc moins aidés par leurs parents pour accéder à la propriété. Ces 20 dernières années, face à l’augmentation des prix de l’immobilier, l’héritage a eu de plus en plus de poids dans l’accession à la propriété. En 2017, un quart des nouveaux propriétaires bénéficient d’une aide financière de leur famille, à hauteur d’un sixième du total de l’apport4. Mais, logiquement, moins on possède, moins on peut donner à ses enfants.

La difficulté à investir dans la pierre s’illustre-t-elle de la même manière partout dans l’Hexagone ?

Dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, seuls 50 % des ménages locataires pourraient acheter un logement5.

Pierre Madec : Une forte tension s’observe dans les zones touristiques, notamment du fait de l’augmentation des résidences secondaires qui réduit l’offre de résidences principales, et la concurrence des plateformes de tourisme qui font flamber les prix. Il est également très difficile d’accéder à la propriété dans les grandes métropoles, notamment à Paris intra muros et sa petite couronne, pour une raison évidente du prix de l’immobilier. Dans la capitale, pour acheter un 40 m2, il faut pouvoir déclarer 90 000 euros de revenus annuels (soit 7 500 euros par mois)6. C’est une somme importante, le problème est là.

83 % des achats de biens en 1984 et 89 % en 20136 se font par le biais de prêt immobilier.

Si l’accès à la propriété continue majoritairement à se faire par le biais du prêt immobilier, il existe désormais d’autres stratégies de financement. Quelles sont-elles ?

Clara Wolf : L’achat immobilier sous le régime du bail réel solidaire (BRS) permet aux ménages modestes d’accéder à la propriété à des prix réduits. C’est un dispositif lancé par le gouvernement en 2016, qui permet l’acquisition des murs, mais pas du terrain. Autrement dit, vous achetez uniquement le logement, et vous louez à un faible coût le terrain à un organisme agréé par l’État. Encore modestes, les logements achetés via ce dispositif s’établissent à 600 en 2022, 850 depuis le lancement du dispositif. En complément, des prêts aidés comme le prêt à taux zéro (PTZ) viennent souvent alléger la charge financière des ménages, permettant de limiter l’apport initial et d’étaler les remboursements.

Que pensez-vous des start-up qui proposent la coacquisition, dont le principe consiste à partager la propriété d’un logement avec un investisseur ou une société spécialisée ?

Pierre Madec : Le problème de ces services, disponibles uniquement dans les grandes villes, est qu’ils augmentent la capacité d’achat dans des zones où les biens immobiliers prennent rapidement de la valeur et se revendent facilement. Cela contribue à faire grimper les prix encore davantage. Ces solutions privées, sur le long terme, n’aident pas vraiment les ménages modestes à accéder à la propriété. Ce qui pourrait davantage solvabiliser les ménages, c’est la régulation sur le prix des logements neufs ou sur les meublés touristiques !

En 2019, environ 5 000 logements étaient proposés en leasing immobilier. En quoi cela consiste-t-il ? Est-ce intéressant ?

Pierre Madec : Appelé location-vente ou location‑accession, ce système de location avec option d’achat permet à des ménages, souvent sans apport initial, de tester leur capacité à devenir propriétaires. Le locataire doit choisir entre deux modalités de paiement : soit payer un loyer plus élevé comprenant le prix d’achat du bien, soit payer un loyer normal pour ensuite payer le prix d’achat du bien dans son intégralité à la fin du contrat. Mais attention : les frais supplémentaires, comme ceux liés à la gestion du contrat de location-accession, peuvent alourdir la facture et prendre l’allure d’une course en avant pour les ménages modestes.

Bien qu’encore marginal, le choix de l’habitat participatif connaît une évolution constante en France. D’où vient ce modèle ?

En 2024, on recense plus de 1 172 projets d’habitats participatifs, une évolution de 15 % par an entre 2021 et 20248.

Cécile Delache : Inspiré des modèles développés aux États-Unis à la fin des années 1960 puis importé en Europe, l’habitat participatif repose sur la propriété collective du foncier et permet à des groupes de personnes de partager le poids de la propriété dans un mode de vie écologique et communautaire. Ce modèle attire particulièrement les jeunes ménages et les jeunes retraités plutôt soucieux de leur impact écologique, car il s’inscrit dans une vision plus large de la société : limiter l’artificialisation des sols, mutualiser les espaces et les équipements et réduire sa consommation globale. Gare aux fantasmes cependant : l’apport pour un habitat participatif n’est pas nécessairement plus accessible que pour une propriété classique. Ce qui réduit les coûts, c’est son fonctionnement, notamment l’absence de syndic. Mais quelques freins moraux subsistent encore dans la société française, tant du côté des particuliers que des banques, encore frileuses pour accorder des prêts pour ce type de projet immobilier. Par ailleurs, l’habitat participatif demande surtout de trouver des partenaires de vie au-delà de son couple, ce qui n’est pas toujours chose aisée.

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