Mon enfant dit des gros mots : que faire ?

C’est un passage quasi obligé pour les enfants qui entrent à l’école : la découverte des gros mots. Véritables éponges, les 3-6 ans les répètent sans forcément en comprendre le sens. Des solutions existent pour les parents désireux de corriger les petites et grosses outrances langagières. Et il faut se rassurer : malgré leur impact négatif, les gros mots contribuent à leur manière à la construction du vocabulaire.

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Rédaction SoPress

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Gros mots chez les tout-petits

L’emploi de mots grossiers est inévitable et fait partie du développement normal psychique des enfants, véritables petites éponges qui s’approprient les gros mots lâchés autour d’eux, tout comme les vocables plus savants. Du coup, les petits incidents langagiers surgissent naturellement. Hugo et Marilou, 35 ans tous les deux et parents d’un petit Paul de 5 ans, se souviennent de leur choc lorsque leur fiston a soudainement lâché le mot « merde » dans la rue. « Il avait 2 ou 3 ans et c’est sorti tout naturellement, raconte Hugo. Ça m'a surpris. J’ai réagi aussitôt, en théâtralisant un peu : ‘Il ne faut pas dire ce mot’. Il était impressionné. On en a parlé calmement ensuite avec la nounou et il a compris le sens de l’interdit. » Plus récemment, Paul s’est laissé aller à des « j’vais pisser » et « dégueulasse »

Un développement du langage chez l’enfant

Dans son ouvrage L'éducation positive, c'est malin (2014), le pédopsychiatre renommé Rafi Kojayan évoque les trois phases de l’usage des grossièretés : « Les premiers gros mots, dès 2 ans, sont très centrés sur le pipi-caca. On est dans le registre scatologique. Entre 3 et 4 ans, ils ne parlent plus que de zizis, de nénés, de fesses, etc. C'est le registre sexuel. Enfin, vers 5 ans, ils se délectent de toutes les grossièretés possibles : dégueulasse, chiant, crétin, con, etc. On est dans le registre blasphématoire. » Ces trois répertoires se superposent au fur et à mesure que l’enfant grandit, précise toutefois Rafi Kojayan.

Les saillies scatologiques peuvent ainsi persister vers cinq ans. La petite Olympe qui va sur ses six ans balance encore des « Toi, t’es un gros caca ! », après avoir éructé, plus petite, des mots plus choquants entendus au hasard. « Vers quatre ans, en nous baladant dans la rue avec sa mère Sylvie, Olympe s’est exclamée : ‘C’est une grosse pute !’, en parlant d’une personne », s’étonne encore son papa, Jean-Baptiste (45 ans). Sidération totale ! Sylvie est intervenue avec fermeté : ‘Non, Olympe ! Un : on n’emploie pas ces mots-là ! Deux : on va t’expliquer. Et trois : plus jamais ça ! » Vers six ans, en passant le cap de l’entrée en CP, l’enfant a normalement appris à policer son langage. À condition, bien sûr, d’avoir mis en place un projet éducatif familial qui va lui permettre d’intégrer un ordre social apaisé où priment politesse, respect d’autrui.

Face aux gros mots : ne pas s'énerver

Si le laxisme parental n’est évidemment pas recommandé, l’interdit absolu n’est pas la meilleure solution. D’abord parce que l’usage des gros mots est souvent « innocent », c’est à dire dénué de compréhension précise des termes. Il est aussi souvent accidentel, conséquence de l’appropriation mimétique du langage des adultes qui se doivent, eux, de donner le bon exemple en ne jurant pas. Comme l’explique Jean-Yves Hayez, psychiatre infanto-juvénile et professeur émérite à l’Université Catholique de Louvain, « l’enfant peut laisser échapper un ‘chiant’ quand il joue avec des copains, pour s’affirmer, mais jamais devant la maîtresse ou devant Tante Edna. » Les réactions parentales appropriées consistent généralement à rester serein (même si ce n’est pas toujours facile), à s’excuser auprès de l’enfant quand ils profèrent eux-mêmes des vulgarités et à lui expliquer le sens de l’interdit.

Sanctions et explications : astuces de parents

On peut aussi avoir recours à d’autres petites astuces. Celle du remplacement classique des gros mots en recourant à « zut », « flûte » ou « saperlipopette ». Comme Jim Carrey dans The Mask qui s’exclamait « Mer… credi ! », au lieu de « Merde ! », le bon vieux « Punaise ! » fait très bien l’affaire en évitant le très grossier « Putain ! ». Dans certaines familles, la boîte à gros mots recueille les pièces de monnaie de tous, coupables de jurons, etc. La sanction peut intervenir, mais elle doit être proportionnée et accompagnée d’une explication. Avec la petite Olympe, Jean-Baptiste et Sylvie procèdent parfois à un court time-out, ou isolement temporaire : « Je lui dis ‘Va réfléchir dans ta chambre’, expose le papa. Cinq minutes pas plus. Ensuite je vais la voir dans sa chambre et je lui parle sur un ton plus posé. Par un processus d’explication-réparation, Olympe doit formuler des excuses par un dessin. J’essaie d’objectiver la situation avec elle en visant l’insulte prononcée et non pas sa personne, afin de ne pas la fragiliser. » Les cas de récidives virant à l’insolence ou à l’affrontement avec les parents couvent sans doute un mal-être qui doit les inciter à consulter un pédopsychologue.

Les gros mots : un chemin vers l'autonomie pour l’enfant

L’usage des gros mots constitue la découverte d’un nouveau pouvoir du langage. C’est une façon pour l’enfant, en parlant comme les grands, de poursuivre l'affirmation de son autonomie, de se faire respecter, et de provoquer les adultes en testant les limites qu’ils ont fixées. « L’enfant a des mots qui lui sont propres, rassure le psychiatre infanto-juvénile Jean-Yves Hayez. Des mots puissants qui produisent un certain effet sur les autres : les rires des copains ou l’agacement des parents. Ces gros mots le mettent en valeur, de manière un peu négative, aux yeux des adultes, certes. Et si les parents sont un peu agacés, ça veut dire qu’il a osé braver leur autorité. Tout ça me semble assez positif pour la confiance de l’enfant, la construction de son identité, de sa cognition et de son droit à acquérir du vocabulaire. Il y a un développement de son imaginaire par ce vocabulaire et ça commence en parti avec les gros-mots. »

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