« Face à la mer, on est tous les mêmes »

Depuis 2008, la pratique du handi surf, destiné aux personnes en situation de handicap mental et moteur, se développe sur les côtes françaises. Reportage à Biscarrosse, dans les Landes, où la glisse agit en thérapie bien-être pour les enfants comme pour les parents.

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Matthias préfère qu’on l’appelle « Mat ». Il a les cheveux épais et très bruns, qui lui encerclent le visage à la manière d’un casque noir, et porte une combinaison en néoprène de la même couleur. Depuis la plage nord de Biscarrosse (Landes), il jauge l’océan sans grande conviction : « C’est très plat quand même, ce matin », lâche-t-il. De fait, mer d’huile à l’horizon, à peine quelques vagues se cassent-elles sur le sable jaune en faisant de la mousse. Si le paysage est fort appréciable pour le promeneur, pour les surfeurs, c’est une autre histoire. « Il faut des vagues plus grosses pour prendre de la vitesse », précise Mat. Lui fait du surf depuis dix ans. « Du handi surf », précisent ses parents. Matthias, à l’instar des cinq autres jeunes qui l’accompagnent en cette matinée de juin, est porteur d’un trouble du spectre autistique.

Combis à l’envers et papas à l’eau

Chaque week-end depuis la fin avril, l’association M en Rouge réunit ses membres les plus hydrophiles pour deux heures de cours à Biscarrosse. Avant la mise à l’eau, la préparation a tout d’un échauffement classique, à part peut-être pour l’enfilage des combinaisons, qui semble un peu plus long qu’ailleurs : l’une est à l’envers, la manche de l’autre pose problème. Pour le reste, les jeunes s’allongent sur des planches de surf bleues en mousse alignées sur la plage, s’entraînent à ramer, jetant des gerbes de sable sur les parents attentifs, puis décomposent les mouvements d’un « take-off », avant de bondir sur leurs pieds, avec plus ou moins d’aisance. Il y a des rires, des cris, peu de discipline, mais l’enthousiasme de professionnels lorsqu’il s’agit de courir à l’eau.

Matthias réussit à surfer une vague, puis une deuxième. Idem pour Ethan, Eliott, Alissa et Christopher. Stanislas, le benjamin du groupe, reste allongé sur le ventre, mais parvient jusqu’à la plage. À chaque prénom, sa petite victoire, célébrée par un pouce en l’air et une volée d’applaudissements. « En cinq ans, le progrès a été incroyable », assure Dorian Lafitte, le coach. « Au début, il fallait un cours particulier à chacun, maintenant plus de la moitié est en autonomie », ajoute le trentenaire, qui prend le temps de discuter sur le sable, avant de se faire rappeler à l’ordre par ses élèves : « Dorian, tu viens ou on sort de l’eau ! » La clé, insiste-t-il, c’est la patience et surtout, la confiance. « Le pairing, le matching, en gros le lien social, voire affectif. Pour les personnes porteuses d’autisme, c’est crucial, elles doivent être à l’aise avec moi et ne jamais se sentir forcées. » Sur ce point, le talent de l’entraîneur fait l’unanimité : « Dorian est resté assis une demi-heure à côté de mon fils, sans rien dire, juste pour établir le contact. Puis il s’est levé et mon fils l’a suivi à l’eau. J’étais sidérée », témoigne Patricia Hocquard, la mère de Noah, qui a surfé durant la session précédente. Il faut dire que Dorian, très bon surfeur, a été très bien formé à l’accompagnement aux personnes en situation de handicap. Il travaille le renforcement musculaire, l’équilibre, la proprioception et « toutes ces choses qu’un surfeur pro travaille aussi ».

Lorsque les conditions lui semblent mauvaises, il n’annule jamais, mais propose des parcours sur la plage, de la slackline, du bodyboard. Il assure également des cours en piscine d’octobre à début mai, grâce au service des Sports de la Ville de LaTeste-de-Buch. Certes, tous les élèves ne parviennent pas à se mettre debout sur la planche. Les cours ne sont pas des plus techniques, concède le coach, qui ne s’empêche pas, pour autant, de parler « backside » et « frontside » à ses élèves. « Il faut s’adapter à chaque cas, faire de la pédagogie individuelle », explique Dorian. Et pour les moins autonomes, des papas sont à l’eau. Eux aussi ont suivi une formation adaptée auprès de l’association nationale Handi Surf.

Le pairing, le matching, en gros le lien social, voire affectif. Pour les personnes porteuses d’autisme, c’est crucial.

Dorian Lafitte, moniteur spécialisé

Une bande de potes

Si Matthias était « déjà très souple », pour d’autres la glisse a permis de considérables progrès en termes de motricité. Noah, par exemple, souffre de lourdeurs dans les jambes. « Je le sens plus agile, raconte sa maman, et surtout, je parviens à lui faire enfiler une combinaison, alors qu’il ne supportait pas qu’on le touche. » Même évolution pour Stanislas qui haïssait avoir les cheveux mouillés. « Le surf permet une stimulation sensorielle qui l’aide beaucoup au quotidien », considère sa mère. Surtout, ces cours collectifs impliquent une sociabilisation, d’ordinaire compliquée pour les personnes souffrant d’autisme. Beaucoup, au début, ne disaient pas un mot, ni ne saluaient personne. Désormais, ils se « check », poing contre poing et se sourient. « On n’aurait jamais pensé au surf pour Ethan », confie Jérôme, son père. « Il faut dire que ma femme a la phobie de l’océan », s’amuse-t-il. Chaque week-end, ils font le déplacement depuis Bordeaux, convaincus des effets thérapeutiques de la discipline sur leur fils. « On l’a inscrit à diverses activités en groupe. Le basket lui plaisait bien, mais les autres ont fini par le trouver trop lent et le mettre de côté. Il nous arrivait de l’emmener à des matches pour qu’il ne joue qu’une minute. Il a voulu arrêter », raconte le papa. Depuis cinq ans qu’il le pratique, Ethan s’avère fidèle au surf.

Chloé est presque majeure. Le visage parsemé de taches de rousseur, elle pétille de joie. Son handicap à elle n’est pas invisible : elle souffre d’une hémiplégie gauche, une paralysie du côté gauche du corps qui provient d'une blessure neurologique. Très active, elle confie avoir essayé plusieurs sports : « Mais j’ai toujours fini par me sentir différente », regrette-t-elle. « Le surf, c’est autre chose. Face à la mer, face à une vague qui s’apprête à se fracasser sur notre figure, on est tous les mêmes », rigole-t-elle.

De fait, à y regarder de plus près, excepté le flocage « handi surf » sur les lycras bleus des jeunes de M en Rouge, rien ne les différencie du groupe d’à côté, en maillot vert. À travers le surf, Chloé travaille l’équilibre qui lui fait défaut, évacue ses émotions, ainsi que le stress des examens et ne sent plus « le poids de son corps ». Avec un tapis à l’entrée de la plage et un Tiralo® – un fauteuil roulant de baignade –, la plage de Biscarrosse et le surf-club M en Rouge sont équipés pour recevoir les personnes à mobilité réduite ou polyhandicapés. Le risque de blessure n’est toutefois pas absent. « Chloé, par exemple, s’est luxé l’épaule récemment », illustre Dorian.

Le parasurf aux Jeux paralympiques 2028

À l’origine de la discipline, il y a l’association nationale Handi Surf qui en a déposé le concept et se consacre, depuis 2008, à rendre la pratique du surf inclusive et solidaire. Fondée par deux amis surfeurs, Jean-Marc Saint-Geours et François Gouffrant, qui ont découvert une initiative similaire au Mexique, elle s’appuie sur un réseau de 150 structures labellisées pour diffuser le handi surf partout en France. Avec, toujours, ce joli slogan : « Quand le handicap se dissout dans l’eau ». En ce qui concerne M en Rouge, le handi surf y est proposé depuis 2014 et l’arrivée de Carol Combecave dans l’association. T-shirt de « rideuse », casquette blanche vissée sur une coupe au carré, Carol est une « amoureuse de la glisse ». Ancienne athlète de roller artistique, elle a été éducatrice sportive, avant d’être élue au comité de la Fédération française de surf et responsable de la commission parasurf. « Hyper compète » de son propre aveu, c’est elle qui a poussé les jeunes de M en Rouge à faire de la compétition, « car ils sont capables comme les autres ». Et elle a visé juste : Matthias est vice-champion de France de parasurf adapté chez les plus de 18 ans, et Eliott est champion des moins de 18 ans.

Ils ne sont toutefois pas concernés par le niveau paralympique, celui-ci étant réservé aux personnes en situation de handicap moteur et sensoriel. La discipline pourrait d’ailleurs devenir sport additionnel lors des Jeux paralympiques de 2028 à Los Angeles. « La décision du Comité international paralympique sera rendue lors des prochains championnats du monde, qui se tiendront du 5 au 11 novembre 2023 en Californie », précise Carol, qui lance un appel aux sponsors et aux partenariats en soutien à l’équipe de France, vice-championne du monde en 2022. En attendant, les jeunes de M en Rouge vivent des remises de récompenses avec d’autres jeunes surfeurs ordinaires. « On avait peur qu’ils craignent le bruit et la foule. Finalement, ils sont toujours ravis de monter sur le podium », salue Carol. Ils s’avèrent même être de féroces compétiteurs. « Chaque compète, c’est Peyo qui arrive premier. Il gagne toujours ! », fulmine Matthias. « Mais il surfe en Guadeloupe il faut dire, c’est autre chose qu’ici », souligne-t-il en tournant le regard vers la mer, toujours aussi plate.

 

Reportage de Marion Lecas

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