À chaque réunion de famille, c’est le même schéma. Après les bises et autres marques de politesse entre les plus anciens et leurs descendants directs eux-mêmes devenus parents, les regards des grands-parents se posent immédiatement sur les plus jeunes. Amour, étude, travail, passions sportives ou artistiques… Les questions, de toutes sortes et sur toutes les thématiques, s’enchaînent avec un intérêt réel. Et les petits-enfants, pas en reste, déballent les dernières actualités de leur vie avant de passer à table pour un repas préparé avec le cœur par leurs interlocuteurs. En France, les chiffres ne mentent d’ailleurs pas à ce sujet : selon l’Étude Notre Temps–EGPE réalisée par l’Ifop en juin 2021, 94 % des grands-parents se déclarent heureux dans leur relation avec leurs petits-enfants et 69 % souhaitent passer encore davantage de temps avec eux (contre 61 % en 2018). Un investissement personnel (huit heures hebdomadaires consacrées aux petits enfants, en moyenne), mais aussi financier, puisqu’ils dépensent 585 euros par an pour chacun d’entre eux.
L’adolescence, période spéciale
C’est dire comme les liens entre les deux générations sont forts et importants, notamment pour les jeunes de 15 à 20 ans. À cet âge, les attaches sont en général déjà solides et l’adolescent prend conscience de l’aspect privilégié de cette connexion. « Effectivement, le lien est très fort à ce moment-là s’il a été créé dès la toute petite enfance. Les grands-pères, par exemple, entrent bien souvent plus facilement en contact avec les adolescents. Plus facilement qu’avec un bébé, en tout cas, appuie Régine Florin, la Présidente de l’EGPE (École des Grands-Parents européens) Paris Île-de-France. En outre, l’ado a des chances d’entrer en conflit avec ses parents et le grand-parent peut alors jouer un rôle de médiateur ou de confident sans jamais interférer dans l’éducation. » Avec tout de même quelques précautions à prendre, rappelle la spécialiste elle-même mamie d’adolescents : « Il faut faire preuve de diplomatie, savoir écouter les confidences et ne rien rapporter aux parents. En même temps, il convient de savoir détecter s’il y a péril en la demeure (harcèlement, comportement suicidaire, situation risquée...) et avertir l’ado d’en référer aux parents. La confiance se construit et se mérite, mais attention à savoir rester à sa place de grands-parents. »
Un lien fort
Micheline, 86 ans au compteur et grand-mère de neuf petits-enfants désormais grands, a toujours su tenir ce rôle en conservant une connexion aussi saine que bénéfique avec eux. C’est en tout cas Arsène, le plus jeune de la liste avec sa vingtaine de bougies soufflées, qui l’assure : « Il s’agit de liens teintés de respect, de soutien et d’amour. C’est une relation absolument différente de toutes les autres, parce que ma mamie représente quelqu’un d’unique dans la famille. On l’a construite naturellement avec le temps, en se voyant régulièrement. Tout s’est encore renforcé, soudé en grandissant. La distance peut constituer un obstacle, certes. Mais ce n’est pas une fatalité, on peut s’en affranchir avec le téléphone et Internet. La relation passe par des écrits, des coups de fil… Des pensées, aussi, tout simplement. C’est difficile de mettre des mots là-dessus, je dirais que ma grand-mère a une place capitale dans mon esprit. Quand je pars en voyage, typiquement, il faut que je lui donne des nouvelles. D’autant qu’on sait qu’elle n’est pas éternelle… J’ai toujours profité de son expérience et je veux encore le faire. Pouvoir lui poser des questions sur la vie, l’interroger sur le monde d’avant, découvrir l’époque qui était la sienne et qui est bien différente de la mienne… Quelle richesse ! »
Être mamie ou papy, du grand art
« Être ou devenir grand-parent, c’est d’une beauté inouïe et d’une particularité hors norme, répond Micheline à celui qu’elle considère comme son chouchou, même si elle n’a jamais voulu l’avouer ouvertement. Et c’est tout à fait passionnant avec les 15-20 ans, car de vraies discussions peuvent s’engager. Combien de fois ai-je reçu mes petits-enfants à déjeuner où les seuls silences servent à avaler ce qu’il y a dans les assiettes, tant on a de choses à se dire ? » Plus riche qu’avec les bébés ou les enfants en bas âge et moins protocolaire qu’avec les (jeunes) adultes, l’échange avec l’adolescent et précieux pour avancer dans la vie. Au même titre que les activités à partager, bien plus nombreuses qu’on ne peut parfois le penser. « Puisqu’on ne sert plus à chouchouter nos petits-enfants comme quand ils étaient petits, à nous de proposer d’autres choses. Et si on allait au ciné, au restaurant ? Si on découvrait le street art, si on cuisinait ce plat ensemble ? Si on allait se balader en discutant, si tu me racontais tes cours ? », s’enthousiasme Régine Florin. Et de conclure : « Les centres d’intérêt de nos ados ne sont plus les nôtres, mais une certaine tendresse s’installe. Nos enfants ados prennent conscience que nous allons partir un jour, surtout quand nous leur parlons de nos propres parents. C’est donc un lien à inventer, à construire, à maintenir… »