Les pesticides en France : du constat à l’action

Malgré l’engouement des Français pour le bio, l’utilisation de pesticides reste élevée et au-delà des objectifs de réduction fixés par les gouvernements successifs. Un enjeu de santé publique et de préservation de la biodiversité qui appelle à une mobilisation pour changer les pratiques agricoles.

Temps de lecture : 13 min

1 Les pesticides, qu’est-ce que c’est ?

Un pesticide est un produit issu de l’industrie chimique, utilisé en agriculture pour éliminer les organismes considérés comme nuisibles et ainsi améliorer le rendement des cultures. Cela comprend les herbicides contre les « mauvaises herbes », les insecticides, les fongicides (contre les champignons), les parasiticides, mais aussi des substances contre les limaces et escargots (molluscicides), les rongeurs (rodenticides), les taupes (taupicides), etc. Les pesticides regroupent également les produits phytosanitaires comme les défoliants, les répulsifs, les fumigants et les agents antifouling (utilisés pour éviter la prolifération végétale sur les surfaces immergées comme les coques de bateaux). Ils se présentent généralement en poudre ou en granulés à disperser, ou sous forme liquide à pulvériser à la main, par tracteur et même par avion.

En France, les pesticides les plus utilisés sont les herbicides (41 % des ventes, dont le fameux et très controversé glyphosate), les fongicides (36 % des ventes) et les insecticides (11 %)(1).

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A-t-on vraiment besoin des pesticides ?

Les pesticides ont un rôle certain à jouer dans le rendement des cultures. Par exemple, sans glyphosate, qui est un herbicide parmi les plus efficaces existants, les récoltes de blé et d’orge seraient trop chargées en mauvaises herbes pour être réduites directement en farine. D’une manière générale, les monocultures, qui constituent une part importante du paysage agricole français (7 cultures occupent 90 % des terres : blé tendre et dur, orge, maïs, colza, tournesol et prairies temporaires(2)), fragilisent les plantes(3). Celles-ci ne bénéficient pas des effets naturellement protecteurs d’un écosystème riche et varié. Dans ces conditions, difficile de se passer des pesticides si l’on veut viabiliser les exploitations.

L’enjeu n’est donc pas forcément d’interdire purement et simplement les pesticides, mais plutôt de trouver comment les utiliser de façon raisonnée, ou mieux encore, de trouver des alternatives écologiques. Le développement de l’agroforesterie/écologie et de la permaculture est ainsi une piste de plus en plus mise en avant, tout comme l’utilisation de produits d’origine naturelle en lieu et place des produits issus de l’industrie chimique.

Le saviez-vous ?

La Fondation d’entreprise du groupe Macif soutient plusieurs initiatives agricoles biologiques, comme le Champ des possibles.

3 La consommation de pesticides en France

Des ventes de pesticides en constante augmentation

En 2016, le volume de produits phytopharmaceutiques vendus en France s’élevait à 73 000 tonnes(4). Le rapport de 2018 de la mission d’information commune sur les produits phytosanitaires montre en effet une hausse de la vente des pesticides de 12 % entre 2014 et 2016. Entre 2015 et 2016, si les ventes d’herbicides ont baissé de 10 %, celles de fongicides ont augmenté de 17 %(1) ! Parmi les causes avancées, la résistance aux végétaux et de certains animaux dits « nuisibles » aux pesticides, qui oblige à recourir à des doses de plus en plus fortes, mais aussi le réchauffement climatique qui augmente le risque de maladies(8). Dans son plan Écophyto 2+ pour la sortie des pesticides, le gouvernement fixe pourtant une baisse de l’utilisation des pesticides de 25 % à horizon 2020.

Les régions les plus concernées

Seulement 11 départements totalisent un tiers des ventes de pesticides, la Gironde arrivant en tête avec 3 000 tonnes, suivie de la Marne et la Somme(4). Les exploitations viticoles étant grandes consommatrices de pesticides, c’est sans surprise que les grandes régions productrices comme la Champagne, le Val de Loire ou le Bordelais comptent parmi les plus touchées. Les zones de maraîchage intensif comme la Loire-Atlantique ou les plaines céréalières et betteravières des Hauts-de-France sont également très concernées.

Vignes et vins, champions des pesticides ?

Une étude menée en 2008 par Actions Network Europe et la MDRGF (Mouvement pour le droit et le respect des générations futures) avait pointé le recours massif aux pesticides dans la viticulture qui concentrait à elle seule 20 % de l’utilisation de pesticides en France, alors qu’elle ne représentait que 3 % de la surface agricole. Avec, pour conséquence, 100 % des vins issus de la viticulture conventionnelle (non bio) contaminés par des résidus jusqu’à 5 800 fois plus élevés que dans l’eau potable. Dix ans plus tard, rien ou presque n’a changé. Si la surface viticole a légèrement augmenté (3,7 % des terres agricoles françaises), elle draine toujours un cinquième des pesticides. Une bonne nouvelle, pourtant : la viticulture bio est en forte progression, passant de 22 000 hectares certifiés en 2007 à plus de 70 000 en 2016.

9%

du vignoble européen est cultivé en bio.*

4 Produits phytosanitaires et santé, quels risques ?

L’utilisation massive de pesticides, longtemps passée sous silence, est aujourd’hui au cœur de problématiques de santé publiques bien réelles. Largement présents dans l’air au moment de leur pulvérisation, ils sont respirés directement par les riverains des sites d’épandages, mais pas seulement. Une étude Airparif de 2016 a ainsi montré que pas moins de 36 pesticides étaient détectables dans l’air de la zone urbaine parisienne, contre 38 dans les zones agricoles d’Île-de-France(5). Les produits phytosanitaires infiltrent ensuite les eaux de surface et souterraines par ruissellement, contaminant l’eau potable où ils sont présents à l’état de traces. Entre 2007 et 2015, 573 captages d’eau potable ont été interdits à cause de taux de nitrates et/ou de pesticides présentant un risque pour la santé, dont près d’un tiers (31 %) lié au seul dépassement des seuils de pesticides(4).

Autre sujet d’inquiétude, les pesticides se retrouvent jusque dans l’alimentation, notamment les fruits et légumes et les vins, et dans une moindre mesure les produits animaux. En France, 6,4 % des aliments testés en 2016 dépassaient les seuils autorisés(6). Plus grave, « l’effet cocktail » obtenu en consommant des aliments affichant chacun un taux de résidus conforme peut suffire à atteindre des seuils présentant un danger pour la santé. De plus en plus d’études sont menées pour étudier l’impact de ces substances omniprésentes sur l’apparition de maladies graves, notamment les cancers et les troubles neurodégénératifs comme la maladie de Parkinson. Avec des résultats très largement convergents pointant une corrélation positive entre la présence de pesticides dans l’air, l’eau ou les aliments consommés, et la fréquence de ces maladies dans les populations.

Le rapport parlementaire de 2018 met ainsi en avant les risques les plus fréquemment identifiés :

  • Un facteur de risque accru pour le cancer de la prostate (notamment liés au chlordécone aux Antilles) et des cancers du sang et du système lymphatique (lymphome non hodgkinien, myélomes multiples) en cas d’exposition professionnelle à des pesticides. Une étude menée de 2005 à 2007 a également montré une occurrence augmentée du mélanome (cancer de la peau) chez les agriculteurs(7).
     
  • Un facteur de risque pour le développement des enfants exposés en période prénatale, périnatale ou au cours de la petite enfance.
     
  • Une étude de Santé publique France pointe une augmentation sensible de la maladie de Parkinson chez les agriculteurs, en particuliers les viticulteurs (+10 % par rapport à la population générale)(8). Elle a également révélé qu’environ 1 800 nouveaux cas par an se sont déclarés chez les exploitants agricoles âgés de 55 ans et plus, ce qui correspond à une incidence de 13 % plus élevée que chez les personnes affiliées aux autres régimes d’assurance maladie.

Le professeur Robert Barouki, médecin, biochimiste et toxicologue de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) confirme dans ce même rapport qu’il y a « 80 % de certitude qu’il existe un lien de causalité entre certains cancers et l’exposition aux produits phytopharmaceutiques pour les professionnels ».

5 L’impact des pesticides sur l’environnement

Mais les effets néfastes des pesticides ne se limitent malheureusement pas à la santé. Ils impactent l’ensemble des écosystèmes dans lesquels ils sont dispersés : animaux, végétation, vie souterraine, qualité des sols… Une étude allemande publiée en 2017 montre un déclin de 76 à 82 % des insectes volants en Europe(9) sur les 27 dernières années, une catastrophe pour la survie de toutes les espèces reliées dans la chaîne alimentaire, en particulier les oiseaux, batraciens, poissons et petits mammifères (chauves-souris, mulots…). Le rapport parlementaire de 2018 sur l’utilisation des pesticides pointe ainsi que « 37 % des populations d’abeilles, sauvages et domestiques et 31 % des papillons sont déjà en déclin, et 9 % menacées de disparaître ». Un impact qui se fait bien sûr aussi sentir sur la pollinisation des végétaux dont 80 % des cultures en dépendent(10), mettant en danger l’alimentation humaine.

Les oiseaux, eux, sont triplement impactés : par la disparition des stocks d’insectes et la contamination des espèces survivantes, mais aussi par la raréfaction des graines issues des plantes sauvages systématiquement éliminées par les modes de production de l’agriculture intensive. Un étau qui a conduit à une réduction de 30 % des populations d’oiseaux des champs en 15 ans, l’hécatombe s’élevant à 75 % chez quinze oiseaux nicheurs métropolitains inscrits sur la liste rouge des espèces menacées(11). Un désherbage massif qui accélère également l’érosion des sols(12).

Enfin, parmi les impacts certes moins spectaculaires mais dont les effets pourraient se révéler tout aussi problématiques, le rapport parlementaire met en avant que « l’impact sur la faune du sol, comme les vers de terre et les collemboles […] peut à son tour avoir des conséquences pour la santé des sols et des systèmes aquatiques, la structure des sols, leur perméabilité et le cycle des éléments nutritifs plus généralement (10) ».

6 Les pistes de sortie des pesticides

Les interdictions et régulations

Des pesticides très connus comme le DDT (antimoustiques) et le Gaucho (insecticide) ont été interdits en France respectivement en 1973 ou 2009 du fait de leur toxicité dans le cas d’une exposition trop importante de la population à ces pesticides. Une bonne chose qui n’efface malheureusement pas des années d’utilisation intensive, le DDT pouvant rester dans les sols pendant plus de 20 ans(12). Les néonicotinoïdes, dont les effets néfastes sur les populations d’abeilles ont été démontrés(13), sont eux interdits depuis le 1er septembre 2018, tout comme le métam-sodium, également interdit après avoir intoxiqué 70 personnes dans l’ouest de la France à l’automne 2018. En revanche, le glyphosate, largement décrié, a vu son autorisation d’utilisation au sein de l’Union européenne prolongée jusqu’au 15 décembre 2022.

Utilisation raisonnée des pesticides

Les projections des Nations unies estiment que la population mondiale devrait croître jusqu’à 9,7 milliards d’ici 2050, soit une hausse de 30 % par rapport à 2017, principalement dans les pays en développement. Pour assurer les ressources alimentaires nécessaires, la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) prévoit que les rendements agricoles devront s’accroître de 80 % et la surface cultivée de 20 %. Dans cette logique, les pesticides peuvent continuer à jouer un rôle, à condition d’en encadrer l’utilisation pour limiter leurs effets délétères. La FAO a publié à ce titre un guide de bonnes pratiques pour la gestion et l’utilisation des pesticides à l’usage de toutes les parties prenantes de la filière. Et rappelle à bon escient qu’il est également possible, quand les conditions le permettent, de produire sans y avoir recours.

Croissance du bio et de l’agroécologie

Si la réglementation reste un outil de choix pour sortir du « tout-pesticide », un changement radical des pratiques agricoles et des modes de consommation semblent également indispensables. Le succès grandissant du bio est à ce titre une réelle avancée en France et un peu partout en Europe, où 12 millions d'hectares étaient cultivés en bio ou en conversion en 2016, soit 6,7 % des surfaces agricoles (+20 % en quatre ans)(14).

D’autres pratiques, comme l'agroécologie ou l’agroforesterie sont aussi en pleine croissance. Ces systèmes de culture s’appuient sur les interactions bénéfiques entre les espèces animale et végétale, et sur le maintien d’un équilibre optimal des écosystèmes pour obtenir des cultures plus résistantes aux maladies et aux parasites. Par exemple, replanter les haies pour protéger les cultures des intempéries mais aussi attirer les insectes pollinisateurs, planter des arbres pour stabiliser les sols, entretenir les pâtures en y remettant des ruminants, etc. À la clé, une agriculture plus variée, dont les différentes composantes s’autorégulent pour limiter, voire éliminer totalement la nécessité des traitements chimiques.

Recommandations et actions publiques

Après l’échec du plan Écophyto lancé en 2009, les pouvoirs publics ont lancé en 2018 un second plan, Écophyto 2+, visant à réduire drastiquement l’utilisation des pesticides en France tout en maintenant une agriculture performante. Écophyto 2+ repose sur 5 leviers d’action :

  • allouer une majorité des 71 millions d’euros de crédits annuels au soutien de projets de recherche appliquée, de transfert de l’innovation et au déploiement de collectifs d'agriculteurs ;
  • mobiliser les outils du Grand plan d'investissement pour accompagner le changement ;
  • prioriser un programme de recherche de 30 millions d’euros ;
  • encourager la substitution du glyphosate ;
  • réduire au minimum le nombre de dérogations aux interdictions d’utilisation des néonicotinoïdes.
L'Essentiel de l'article
  • L’utilisation des pesticides peine à diminuer en France.
  • Leurs effets néfastes sur la santé et l’environnement sont montrés par de nombreuses études.
  • Un plan d’action gouvernemental est en place pour réduire de 25 % l’utilisation des pesticides d’ici 2020.
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