« La santé mentale est une question qui nous touche tous »

La santé mentale est-elle suffisamment considérée ? Quelles sont les pistes pour améliorer sa prise en compte ? Stéphane Mouchabac, psychiatre et chercheur à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière, et Jean-Victor Blanc, psychiatre à l’Hôpital Saint-Antoine à Paris et fondateur de Culture Pop & Psy, font le point.

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So press
Rédaction So Press

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Qu’entend-on exactement par santé mentale ?

Stéphane Mouchabac : C’est un déterminant majeur de la santé. Selon la définition de l’OMS, la bonne santé mentale est un « état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive, et d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté ». Il faut cependant avoir à l’esprit que la bonne santé mentale va au-delà de la simple absence de troubles mentaux. Elle représente aussi un état optimal de fonctionnement émotionnel, psychologique et social, caractérisé par la capacité à gérer efficacement le stress, à maintenir des relations positives, à prendre des décisions éclairées, à développer des compétences pour résoudre les problèmes et à s’adapter aux changements de la vie. De nombreux facteurs déterminent la santé mentale : ils incluent des aspects socio-économiques, biologiques, environnementaux et notamment les conditions de travail. Cependant, il est possible d’adopter des stratégies et des interventions très variées, économiquement efficaces, pour promouvoir, protéger et rétablir la santé mentale. L’exemple de la dépression est frappant : le handicap qu’elle génère est le plus important parmi toutes les pathologies dans nos sociétés modernes. C’est-à-dire que le coût en années de vie perdues à cause du handicap est supérieur à celui des maladies cardiovasculaires, du diabète ou des cancers !

Est-ce que les Français sont préoccupés par leur santé mentale ?

Jean-Victor Blanc : La santé mentale est une question qui nous touche tous. Près de 3 Français sur 10 (29 %) nous confient avoir au moins une fois été atteints de troubles psychiques comme la dépression, les addictions, le burn-out l’anxiété ou les troubles bipolaires, ou encore par des idées suicidaires(1). Plus largement, 47 % de nos concitoyens déclarent avoir dans leur entourage proche (37 %) ou élargi (32 %) une personne ayant déjà été atteinte de troubles psychiques. Au total, plus d’un Français sur deux (53 %) est donc concerné par les troubles psychiques, directement ou par le biais d'un proche.

Stéphane Mouchabac : Nous pensons que nous sommes préoccupés par nos états mentaux depuis toujours. Mais dans de nombreux cas, les maladies psychiques touchant la santé mentale sont perçues de manière négative, et les individus concernés se longtemps retenus d’en parler. Aujourd’hui, on encourage les personnes à en parler, à consulter, surtout les jeunes.

Y a-t-il eu une évolution ces dernières années ?

JVB : Les prises de parole de personnalités publiques et les œuvres culturelles sont indispensables pour sortir des tabous qui entourent encore la santé mentale. C’est quelque chose qui n’existait pas il y a 20 ans, une révolution qui vient de commencer. Lorsqu’une personnalité atteinte de troubles psychiques s’exprime à ce sujet et explique son parcours de rétablissement, c’est une puissante source d’espoir pour toutes les personnes concernées. En prime time sur TF1 en janvier 2022, Stromae n’avait pas hésité à chanter face caméra son titre « L’Enfer », révélant ses idées suicidaires à des millions de téléspectateurs. Cet évènement et le succès du titre ont marqué les Français. Le chanteur est en effet cité en tête des personnalités qui ont le plus contribué à comprendre les problèmes de santé mentale. Malgré cela, la santé mentale est encore un sujet tabou pour 70 % des Français et seulement 36 % d’entre eux osent partager leurs préoccupations concernant leur santé mentale avec leurs proches.

La santé mentale est devenue un enjeu de société ?

SM : Cela l’a toujours été ! Sauf que cet aspect prioritaire n’est peut-être pas accepté par tous. C’est une composante essentielle de la santé globale et l’OMS dit bien « qu’il n’y a pas de santé sans santé mentale ». C’est aussi un indicateur de l’état de nos sociétés !

JVB : Aujourd’hui, ce qui est encourageant c’est qu’on n’a jamais autant parlé de la santé mentale que dans notre société et c’est vrai qu’il y a un vrai facteur générationnel autour des moins de 30, 35 ou 40 ans, qui parlent beaucoup plus librement du sujet. Finalement, la santé mentale devient un enjeu de société comme peuvent l’être l’écologie ou les questions de genre, de féminisme. On voit que ça concerne beaucoup de monde et que beaucoup de monde a quelque chose à dire sur le sujet. La conséquence de tout cela est qu’aujourd’hui, 88 % des Français estiment ainsi que la santé mentale n’est pas moins importante que la santé physique, 86 % jugent que la dépression est une maladie et 73 % que les problèmes de santé mentale ne sont pas une manière d’attirer l’attention, mais de véritables troubles.

Comment les outils numériques peuvent être utilisés au service de la santé mentale ?

SM : Les nouvelles technologies s’insèrent dans ce que nous appelons la e-santé. La e-santé englobe toutes les activités liées à la santé qui reposent sur les technologies de l’information et de la communication. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la e-santé est définie comme l’ensemble des « services numériques dédiés au bien-être individuel ». Nous voyons qu’il existe plusieurs niveaux d’utilisation. Pour augmenter l’accessibilité aux soins, en cas de déficit de praticiens ou d’accès difficile, les modèles de téléconsultation sont très pertinents. Mais ce qui est porteur d’espoir repose surtout sur l’intégration de l’IA dans nos pratiques.

Les possibilités d’application de l’intelligence artificielle en psychiatrie incluent :

  • L’exploration de vastes bases de données pour dégager de nouvelles orientations de recherche clinique ou thérapeutique. L’analyse prédictive à partir de données diversifiées : passage à un état pathologique, tentatives de suicide, réponses au traitement, rechutes précoces.
  • L’aide au diagnostic : utilisation de l’IA pour analyser des biomarqueurs avec une spécificité accrue, permettant un affinement de la sémiologie différentielle, et l’identification des sujets à risque pour des interventions précoces.
  • Les agents conversationnels : analyse des symptômes et des émotions, ainsi que la fourniture d’une assistance thérapeutique.
  • Les traitements personnalisés : intégration des données individuelles pour proposer des options thérapeutiques plus adaptées. Un grand nombre de ces technologies sont innovantes et induisent des changements significatifs.
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