Ne pas aimer être enceinte : lever le tabou pour mieux accompagner

« Je n’aime pas être enceinte ». Une phrase que l’on entend rarement, et pour cause, le stigma qui plane sur une femme qui n’aime pas sa grossesse est particulièrement pesant. Pourtant, ces 9 mois ne sont pas forcément une partie de plaisir. Témoignages de mères et conseils de sages-femmes.

Temps de lecture : 6 min

à propos du contributeur

Claudine Schalck et Céline Puill

Respectivement sage-femme / psychologue et sage-femme

 

Même lorsqu’elle ne rencontre pas de problèmes particuliers de santé, une femme enceinte ne vit pas nécessairement sa grossesse sur un petit nuage. Les impacts physiques et psychologiques de ce grand chamboulement peuvent devenir une vraie épreuve. « La société renvoie qu’il faut être épanouie pendant la grossesse et aussi après une fois l’enfant né, explique Claudine Schalck, sage-femme et psychologue. Pourtant, il y a tellement à gérer, physiquement et mentalement. On a le droit de ne pas aimer être enceinte, autant qu’on a le droit d’aimer être enceinte. »

Être enceinte : un bouleversement physique et mentale difficile à gérer

Ce corps qui change, parfois brutalement et drastiquement, et qu’on ne peut pas vraiment contrôler, peut devenir une source de mal-être. « Je détestais mon nouveau corps dans lequel je ne me reconnaissais pas et dans lequel je me sentais étrangère, explique Louane. Je ne voulais pas qu’on me regarde, qu’on me touche, même mon époux. Je n’arrivais pas à accepter non plus le fait d’être tout le temps fatiguée et que cela m’empêche de travailler ou de vivre ma vie comme à mon habitude. » Une expérience qui résonne particulièrement chez Carole, qui a elle aussi vécu ce chamboulement physique comme une réelle contrainte. « Je me suis rendue compte que je n’étais plus maître de mon corps et que par exemple si à un moment d’urgence j’avais besoin de m’enfuir en courant, j’en serais tout bonnement incapable ».

Céline Puill, sage-femme, constate ces pensées chez de nombreuses futures mères qu’elle suit. « Je connais très peu de femmes qui ne se sont pas plaintes à un moment d’un désagrément physique. Alors oui il y en a qui vivent tout ça très bien et adorent leur grossesse, mais pour d’autres, c’est insupportable d’avoir son corps investi par un autre être, c’est perçu presque comme une effraction. On entend alors cette notion d’intrus ou même d’alien. Cela ne veut pas dire qu’elle n’aime pas leur bébé, mais il faut comprendre que porter un corps tiers dans son propre corps, ce n’est pas négligeable comme situation. »

En plus de ces changements physiques, les femmes enceintes font face à des états psychologiques parfois difficiles à vivre. « Je ne contrôlais pas mes émotions. Je disais à mon mari que potentiellement j’allais me mettre à pleurer d’un moment à l’autre sans savoir pourquoi », se souvient Carole. Même discours chez Louane. « Je me réveillais, j’étais plutôt de bonne humeur, et une demie-heure plus tard, plus rien n’allait car je me retrouvais de nouveau confrontée à tous ces sentiments qui m’envahissaient sans que je puisse y faire quelque chose. Mon mari ne savait pas comment m’aider et pour être franche, dans ces moments-là, je préférais même qu’il n'essaie pas d’intervenir. »

Faire face aux jugements des autres

Le problème, c’est qu’oser dire « Je n’aime pas être enceinte », c’est prendre le risque de subir l’incompréhension, le jugement et parfois même les reproches des autres. « Il y a ce côté, tu l’as bien voulu ce bébé non ? Donc maintenant que t’es enceinte, de quoi tu te plains ? » raconte Louane.

La jeune femme est tombée enceinte le jour où elle a fait retirer son stérilet. Une fécondation expresse qui ne lui a pas laissé le temps de s’habituer à l’idée même de porter un bébé. « Je pensais que comme pour les femmes autour de moi, ça prendrait au moins quelques mois et que ça me laisserait le temps de me projeter, d’être impatiente. Et je ne pouvais évidemment pas me plaindre que ça arrive aussi vite alors que d’autres femmes attendent si longtemps pour cette chance. Du coup, on n’en parle pas, on fait semblant d’être heureuse et ça ne fait qu’empirer la situation. »

Mais pourquoi la société a-t-elle encore du mal à concevoir qu’une femme puisse ne pas aimer être enceinte ? « Le souci, c’est qu’aujourd’hui, la maternité est encore socialement perçue comme un aboutissement pour les femmes, explique Céline Puill, sage-femme. C’est notamment pour cela qu’il y a beaucoup de préjugés sur celles ne souhaitant pas devenir mère. Mais surtout, les présupposés veulent que la grossesse soit un moment de grand épanouissement. Donc dire que l’on aime pas être enceinte, c’est comme remettre en question ces normes sociales entre féminité et maternité, et ça fait peur. »

La nécessité d’être bien accompagnée

Lorsqu’elle fait face à ce cas de figure, Céline s’attelle à faire en sorte que la femme enceinte accepte ses propres sentiments. « C’est important que ces femmes comprennent qu’elles ne sont pas seules à vivre ça, qu’elles ont le droit de ressentir ces émotions et qu’elles doivent se défaire du jugement des autres pour avancer le plus sereinement possible. Ce n’est déjà pas facile d’être enceinte, inutile de porter en plus ce fardeau. »

Si un professionnel omme la sage-femme ou un psychologue peut aider, les partenaires et l’entourage ont eux aussi un rôle important à jouer. « Pour en parler, il faut que le climat soit sécurisant, insiste Celine Puill. Il est nécessaire que le conjoint ou la conjointe soit accueillant-e, même sans forcément comprendre ce qui se passe. Si la femme enceinte voit que son ou sa partenaire est à l’écoute, a envie d’être présent.e pour elle et cherche à la rassurer, elle sera beaucoup plus à même de s’exprimer librement. »

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L'Essentiel de l'article
  • Vos sentiments sont légitimes, même si vous avez l'impression qu'ils sont hors des codes
  • N'hésitez pas à en parler autour de vous et/ou à consulter un.e psychologue
  • Votre sage-femme peut être une interlocutrice privilégiée dans cette situation

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