Batch cooking : de la motivation
C’est à une période difficile de sa vie que Sarah Gernet, 29 ans, a commencé à « batch cooker ». Alors qu’elle combinait sa dernière année de Master avec une alternance au rythme intensif, l’annonce du divorce de ses parents a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. « À cette période, je devais assurer la vie domestique, dont la préparation des trois repas par jour pour ma petite sœur et moi. J’ai commencé par perdre beaucoup de temps en cuisine pour finir par me dire : “Tant qu’à avoir quelque chose sur le feu, qu’est-ce qui m’empêche de lancer un autre repas qu’on mangera plus tard ?” », se souvient-elle, ravie de constater après quelques semaines qu’elle avait considérablement réduit son temps passé aux fourneaux.
C’est quelques années après, pendant le confinement, qu’elle découvre que la méthode qu’elle emploie au quotidien a non seulement un nom, le batch cooking, pratique anglo-saxonne de planification des menus de la semaine, dont le terme signifie cuisson par lots ou par fournées, mais a aussi un succès fou sur Instagram, particulièrement outre-Atlantique. « J’ai passé une nuit blanche à me dire qu’il n’y avait pas encore de contenu sur le sujet en français. Le lendemain matin, j’ai lancé mon compte (@batchcooking_officiel). En moins d’un an, je cumulais 10 000 abonnés », se réjouit-elle.
Gain de temps et d’argent
Souvent considéré comme une technique de grand-mère pour optimiser le temps de cuisine, le batch cooking a pour principal avantage le gain financier pour les ménages, dans un contexte où le pouvoir d’achat des Français est mis à mal. C’est en partie ce qui a motivé Clémence, 27 ans. « Je me suis retrouvée à avoir une vie très décousue, avec de gros horaires, mais surtout des imprévus. Résultat : je mangeais beaucoup à l’extérieur et je dépensais bien trop d’argent par rapport à mon petit budget », confie-t-elle. Depuis un an, chaque dimanche, elle prépare avec son compagnon pendant plusieurs heures, l’équivalent d’une semaine de repas. « D’un côté, on cuit nos légumes, de l’autre, un féculent en quantité, et enfin, les protéines. L’idée c’est d’avoir un peu de chaque élément pour un repas complet et sain. C’est très efficace, mais parfois, il faut résister à la flemme », détaille Clémence Facchinetti, qui observe un net changement sur la qualité de son alimentation.
En effet, comme l’ont démontré les scientifiques de l’Université de Cambridge dans une recherche publiée dans le Public Health Nutrition, « l’organisation et la planification des repas sont associées à un apport plus sain en fruits et légumes ». Des chercheurs de l’université de Lincoln ont également mis en évidence une baisse de près de 7 000 calories par personne et par semaine pour les foyers utilisant une liste de courses et planifiant tous leurs repas. Par ailleurs, le batch cooking est également une promesse à cesser de s’éparpiller au supermarché : avec une liste préétablie, les probabilités de respecter son budget sont plus grandes.
Batch cooking : injonction supplémentaire en cuisine ?
Cumulant des milliers de contenus sur les réseaux sociaux, incarné le plus souvent par des femmes au foyer qui affichent une cuisine irréprochable, le batch cooking est-il une injonction supplémentaire qui s’invite dans nos cuisines ? « Je reçois énormément de messages chaque semaine, surtout de la part de mères seules et d’étudiants, qui voient dans le batch cooking la promesse de gagner du temps et de l’argent. Mais ils ne savent pas comment se lancer : ils se posent beaucoup de questions sur la conservation, sur la méthode, il y a beaucoup de stress de bien faire au début », rapporte Sarah Gernet, qui consacre plusieurs heures par semaine à répondre à leurs sollicitations. Beaucoup de personnes se découragent, car planifier ce qu’on mange en détail reste un apprentissage. « Bien faire les choses, c’est parfois s’attarder sur ce qu’on va faire d’un paquet de gruyère entier : comment bien l’intégrer à plusieurs recettes pour ne plus gaspiller ? », exemplifie-t-elle. Faut-il être psychorigide pour apprécier le batch cooking ? « En tout cas, il ne faut pas être effrayé par l’organisation », avertit Sarah Gernet.
Malgré son succès en ligne, il semblerait que la méthode ne soit pas saluée aussi massivement dans la vie quotidienne. Elle en agace même certains. « J’ai testé pour vous le batch cooking. C’est super, il est 20h51 et j’ai déjà mangé la moitié de ce que je m’étais préparé pour la semaine. À demain pour d’autres conseils food ! », ironise Nivin Potros, journaliste chez LCI, sur X, anciennement Twitter. « Manger toute la semaine la même chose ? Mais quelle angoisse ! Nos quotidiens sont déjà réglés comme du papier à musique », peste Sophie, 31 ans. « Je déteste le batch cooking, car, pour moi c’est une erreur de vouloir tout optimiser en créant des processus de productivité : les choses cool sont faites pour être faites au feeling, sur l’instant ! », défend Ania, 35 ans. À chacun sa cuisine…