Notre capacité d’attention est-elle en déclin ?

« L’attention, miracle à la portée de tous, à tout instant. » Cette phrase de la philosophe Simone Weil prend un éclat tout particulier à l’heure où notre attention est sursollicitée, au point parfois de rendre son tablier. Considéré par certains comme le mal du XXIe siècle, le manque d’attention – aussi appelé « syndrome de déconcentration » – affecte beaucoup de Français. Décryptage.

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Rédaction So Press

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Dès 2015, une étude de Microsoft s’inquiétait de la chute de notre capacité d’attention, passée de 12 à 8 secondes depuis l’an 2000. Dit comme ça, rien de bien concret. Ce qu’il faut plutôt retenir c’est que ce temps de concentration serait inférieur d’une seconde à celle du poisson rouge, comme le souligne en 2019, Bruno Patino dans La Civilisation du poisson rouge. Notre ami à branchies a beau être l’un des animaux préférés des Français, la comparaison est peu flatteuse.

« Ce qui compte, ce n’est plus de ne manquer de rien, mais de ne rien manquer »

À quoi est due cette dégringolade ? L’abus général de technologie, le flux constant de suggestions, de notifications, de messages et autres images est souvent mis en cause. Si l’augmentation du nombre de chaînes de télévision a commencé le travail, la multiplication des usages numériques dans nos vies – à savoir Internet, smartphones et réseaux sociaux dont nous sommes tous consommateurs – s’est chargée du reste. Plus simplement : l’attention s’est dégradée à mesure que l’offre digitale et culturelle a augmenté. Dans son livre La Magie de la concentration, publié en 2020, le chercheur au Centre de recherche en neurosciences de Lyon, Jean-Philippe Lachaux aboutit à la même conclusion : « Face à une diversité hallucinante de sources d’information et de distraction, et de choses “à faire”, notre cerveau s’organise pour couvrir le maximum de terrain possible et maximiser “le gain”, comme un glouton découvrant les vingt buffets gratuits d’un navire de croisière, écrit-il. Il s’en met plein la bouche pour ne rien rater, et tant pis si les sushis viennent se mélanger au bœuf bourguignon. Ce qui compte, ce n’est plus de ne manquer de rien, mais de ne rien manquer. » Le chercheur compare alors l’attention à une fourchette, servant à avaler tout ce contenu. Mais, sursollicité, le couvert pourrait finir par se casser.

Dans une interview pour 20 minutes, en 2021, le même chercheur indiquait que pour traiter des contenus numériques, le système cérébral réquisitionné fonctionne comme celui des drogues dures : le circuit de la récompense. « Quand les choses se prolongent et sont monotones, elles ne le stimulent pas assez », précise-t-il au média. Dans son ouvrage, le chercheur est formel : « Oui, nous vivons bien une crise de l’attention. » Pour ce qui est des symptômes, on observe souvent les mêmes : le zapping, la surcharge mentale, la sensation de pression permanente ou encore l’impression de rester à la surface des choses, de ne pas être là. Les adolescents possèdent même un acronyme utilisé principalement sur les réseaux sociaux ou sur les forums et illustrant un faible niveau d’attention : TLTP, répondent-ils lorsqu’un message dépasse trois lignes. Ce qui signifie : « Trop long, pas lu ».

L’attention comme une disponibilité, une écoute

Pour Jean-Philippe Lachaux, le risque d’un tel déclin est de voir apparaître dans cinquante ans, une société « complètement dépressive », car « coupée de satisfactions profondes ». Une projection que la journaliste italienne Lisa Iotti, auteure du livre 8 secondes. Voyage dans l’ère de la distraction, partage : « On se retrouverait à accumuler des millions de données sans savoir les trier correctement et les assimiler. La connaissance, ce n’est pas accumuler des données, mais être capable de les filtrer. Savoir distinguer ce qui est juste, ce qui est important, de ce qui ne l’est pas. » Comme la philosophe française Simone Weil, Lisa Iotti considère l’attention comme une disponibilité, une écoute. Sans elle, comprendre foncièrement l’autre – sa souffrance, son bonheur – relèvera du défi. « On ne pourra plus vibrer les uns avec les autres », déplore-t-elle.

Heureusement, Bruce Morton, chercheur au Brain & Mind Institute de l’Université de Western Ontario, est plus optimiste. Selon lui, notre cerveau ne serait pas en régression, mais simplement en train de s’adapter au nouveau contexte dans lequel il vit. Qui vivra, verra. D’ici là, « il est devenu urgent d’éduquer l’attention, renchérit Jean-Philippe Lachaux dans son ouvrage. C’est un enjeu majeur de santé publique, tout simplement. » Pour le chercheur, éduquer l’attention signifie « faire comprendre aux plus jeunes, mais aussi à leurs aînés, ce qu’est l’attention, comment elle fonctionne, quels en sont les mécanismes et comment l’apprivoiser, comment jouer avec elle, et surtout, comment la maîtriser ». Pour cela, il a créé le projet ATOLE (Attentif à l’école) afin de former des professeurs qui à leur tour, amélioreront l’attention de leurs élèves.

Prévenir, c’est bien. Mais peut-on guérir ? Selon la neuroscientifique Amishi Jha, professeure à l’université de Miami qui, depuis une vingtaine d’années, étudie les mécanismes de l’attention, tout est question d’entraînement. Elle suggère d’effectuer quatre exercices – d’au moins 12 minutes – par jour, cinq jours par semaine, pendant quatre semaines. Au menu : la « respiration concentrée », le « scan du corps », l’observation dite « ouverte » et enfin, un exercice d’empathie. « Nous avons découvert qu’en pratiquant ces exercices quotidiennement, même lors d’une période de stress élevée, les capacités attentionnelles ne se dégradaient pas et pouvaient chez certains s’améliorer », a-t-elle déclaré en 2022, à Santé Magazine. Tout n’est donc pas perdu.

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