Le fauteuil roulant, un prolongement de soi ?

On le sait : si 80 % des handicaps sont invisibles, restent ceux dont le quotidien se vit en fauteuil roulant. Témoignages de personnes pour qui cet outil est indispensable.

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Rédaction SoPress

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En France, près de 850 000 personnes sont en situation de handicap moteur, soit environ 1,5 % de la population adulte (chiffre INSEE). Parmi elles, environ 45 % se déplacent en fauteuil roulant. Ce dispositif a permis à des millions de personnes dites « empêchées » de découvrir le monde et n’a cessé d’évoluer au fil du temps, grâce aux progrès technologiques. D’autant que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, le fauteuil roulant ne date pas d’hier. Pour la petite histoire, le premier modèle en Europe a été fabriqué en 1554, à l’intention de Philippe II d’Espagne. Le pauvre souffrait de goutte et d’arthrite. À l’époque, on appelait encore cela « chaise d’infirme ». Le premier modèle autopropulsé manuellement à l’aide d’une manivelle voit le jour au XVIIe siècle. Son inventeur ? L’horloger allemand Stephan Farffler, ayant perdu accidentellement l’usage de ses jambes lorsqu’il était enfant. Mais ce sont dans les années 1930, face aux besoins urgents causés par les guerres mondiales, que deux Américains – Herbert Everest et Henry Jennings – parviennent, depuis leur garage, à rendre les fauteuils pliables.

Le sport, au service du handicap

Satisfaits du confort grandissant de leur fauteuil roulant, certains ont commencé à vouloir en jouer. Ce sont des athlètes qui, en quête de performance, ont commencé à bidouiller leurs fauteuils afin de les rendre plus légers et plus faciles d’utilisation. Ce fut le cas de Marilyn Hamilton, athlète ayant perdu l’usage de ses jambes après un accident de parapente, qui a participé à l’élaboration du fauteuil ultraléger Quickie. Retirer les poignées, servant à la poussée, pour alléger, modification des roues pour prendre de la vitesse… Tous les moyens sont bons. Aussi parce que ces fauteuils optimisés ont contribué à changer le regard que la société posait sur le handicap : « Quand les gens regardent une personne handicapée, le fauteuil roulant est le trait qui ressort le plus, et on a tendance à oublier qu’il s’agit d’une personne », confiait la sportive Marilyn Hamilton au Los Angeles Times en 1982.

Un dispositif social et non médical

Aujourd’hui, plus particulièrement à l’approche des Jeux paralympiques 2024, les médias et les réseaux sociaux montrent les handicapées comme des personnes actives, orchestrant leur propre vie. Ce n’est pas Romain Guérineau, plus connu sous le nom de « Roro Le Costaud » sur Instagram, qui dira le contraire. Devenu tétraplégique à la suite d’un accident de ski, l’influenceur voit son fauteuil roulant comme « [sa] liberté et [son] autonomie » : « Pour moi, c’est mes jambes », insiste-t-il. Sans son fauteuil, Romain ne peut sortir de son lit, ne peut se déplacer, ne peut aller travailler au centre d’appel des sapeurs-pompiers de Tours. « C’est le prolongement de mon corps, reprend-il. S’il n’y a pas de fauteuil, il n’y a pas de vie. »

Un outil scénique et artistique

Si aucun handicap ne se ressemble, il en va de même de la façon de l’appréhender. Comédienne et danseuse depuis 15 ans, Magali Saby a été victime d’une paralysie cérébrale à la naissance. Rapidement, la jeune femme met les points sur les i : pour elle, son fauteuil n’est qu’un outil de déplacement. « En aucun cas, il ne définit ma personne, clarifie-t-elle. Je sais que mon discours diverge de ceux que l’on entend d’habitude. Certaines personnes donnent des surnoms à leur fauteuil roulant, je ne suis pas du tout là-dedans. Ce n’est pas un déni de mon handicap, c’est une autre vision. » Par le biais de la danse, du théâtre ou même du cinéma – la jeune actrice sera prochainement à l’affiche d’un téléfilm diffusé sur France 2, intitulé Danse ta vie – sa condition physique s’évanouit pour laisser pleinement place à l’artiste. « Ici, le fauteuil est un outil scénique utilisé au service de la création artistique, considère-t-elle. On bouleverse sa conception pour justement bouleverser les idées reçues que le spectateur peut avoir de l’objet. »

Clou du spectacle : en 2023, l’intermittente présentait Danser la Faille, une conférence dansée, imaginée par le chorégraphe Sylvère Lamotte. Sur scène, la danseuse quitte son appareil pour mouvoir pleinement son corps. « Ce n’est pas parce que vous êtes privé de l’utilisation de vos jambes ou de vos bras que le corps n’existe pas, affirme-t-elle. Même lorsque nous sommes confrontés à des corps vraiment empêchés, qui ne peuvent évoluer au niveau de la performance, il y a tout de même un effort. Or, l’effort d’y arriver rend le geste sublime. »

« On ne peut pas uniformiser le même fauteuil pour tout le monde »

Indispensables, mais coûteux, les fauteuils roulants devraient, d’ici fin 2024, être intégralement remboursés par la Sécurité sociale. C’est en tout cas ce qu’avait promis Emmanuel Macron lors de la Conférence nationale du handicap d’avril 2023. Pour Romain Gérineau, mieux vaut calmer son enthousiasme, ce projet pouvant contraindre certains Français à se tourner vers des modèles bas de gamme : « Ils ne comprennent pas qu’on ne peut pas uniformiser le fauteuil pour tous. Ils parlent d’un remboursement intégral, c’est très bien, mais il faut intégrer qu’on n’a pas tous les mêmes besoins. Pour des personnes ayant besoin d’un fauteuil électrique au quotidien, un modèle d’entrée de gamme (entre 2500 et 5000 euros) ne peut suffire. Elles vont donc frôler autour des 20 000 ou 30 000 euros pour avoir quelque chose de correct. Pour ma part (un fauteuil roulant manuel, ndr), je ne pars pas en dessous de 5000 euros. » Or, dans ce cas, l’augmentation de la base de remboursement prévue est de 2 600 euros. « On est résigné, reprend l’influenceur. C’est malheureux à dire, mais c’est la vérité. On a l’habitude. »

En attendant, les ingénieurs continuent de perfectionner le fauteuil roulant, en y intégrant par exemple des radars et des caméras pour prévenir les dangereux mouvements de bascule. Intelligence artificielle, roues et jantes personnalisées, cadres customisés… Tant de nouveautés qui répondent aux besoins des personnes handicapées, tout en y ajoutant une pointe de style. Mais pour « Roro Le Costaud », un éventuel futur où implants cérébraux et prothèses remplaceraient les fauteuils est encore bien loin. « Je n’ai pas envie de me projeter dans un futur utopiste, en me disant : “Je vais remarcher un jour”, confie-t-il. Je préfère vivre au jour le jour et me concentrer sur la manière dont je peux vivre le plus normalement possible installé dans mon fauteuil. »

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