Le numérique pour les enfants : conseils aux parents

Premier smartphone à 9 ans et 9 mois, premiers pas sur Internet dès le début du primaire… Les rites de passage dans la société numérique interviennent de plus en plus tôt. Une période d’apprentissage qui, pour les petits comme pour les grands, mêle réussites et tâtonnements. Conseils d’experte et témoignages de cinq parents.

Temps de lecture : 10 min

à propos du contributeur

Chut! Magazine

Trimestriel papier et en ligne qui explore l'impact du numérique sur nos vies.

Marie Danet est psychologue clinicienne, docteure en psychologie et maîtresse de conférences à l'université de Lille.

Quelles sont les inquiétudes qu’expriment les parents ?

Marie Danet : Les parents dont les enfants sont préadolescents craignent avant tout que leur progéniture passe trop de temps devant les écrans. À l’adolescence, cette problématique se double de celle de la gestion du temps de sommeil. Les parents expriment également une inquiétude liée à de possibles mauvaises rencontres en ligne : images à caractère pornographique, cyberharceleurs, etc. Les préoccupations concernant l’impact du temps passé devant les écrans sur la scolarité sont présentes mais moins fréquentes. Toutes ces craintes ont émergé à mesure que les écrans se sont multipliés dans la maison et que leurs usages, notamment avec les jeux vidéo, sont devenus plus solitaires.

Comment interpréter la diminution de l’âge moyen pour le premier smartphone (9 ans et 9 mois) ?

M. D. : Cela permet aux parents de rester en contact avec leur enfant lorsqu’il commence à faire des trajets seul. Les nouvelles technologies permettent ces contacts instantanés et les parents utilisent ce potentiel d’immédiateté. Peut-être que leurs inquiétudes sont un peu plus grandes qu’il y a quelques décennies mais ce n’est pas lié aux smartphones. J’y vois plutôt une continuité avec le phénomène des parents hélicoptères, qui veulent contrôler tout ce que fait leur enfant lorsqu’il est petit, et du fait que nous avons accès en permanence à une information saturée de faits divers.

Y a-t-il une forme de pression sociale qui s’exerce sur les parents ?

M. D. : M. D. : D’un côté la tolérance aux enfants dans l’espace public diminue : il faut qu’ils soient sages et qu’ils n’utilisent pas d’écrans. Dans le train, par exemple, si je joue avec mon enfant et que nous faisons du bruit, les gens me regardent, agacés, mais si je lui donne un écran on me regarde aussi. D’un autre côté, la pression sociale est présente sur les réseaux sociaux où les parents se mettent en scène en faisant des choses supposément incroyables avec leurs enfants. Pour certains, l’enjeu devient alors d’apparaître comme un super parent, capable de donner le meilleur pour son enfant. Enfin, le discours de l’institution scolaire est paradoxal car l’école passe son temps à alerter sur les outils numériques et demande en même temps aux élèves de les utiliser pour leurs devoirs. En fait, ce sont les aspects récréatifs des écrans qui sont incriminés, les aspects jugés sérieux, eux, sont tolérés.

Illustration par Claire Korber

 

Quelle posture devraient adopter les parents face aux pratiques numériques de leur enfant ?

M. D. : Le plus important est de communiquer avec lui. Comme on lui apprend à traverser la route, il faut lui apprendre à utiliser les outils numériques. Lorsque les parents mettent en place un cadre trop restrictif, l’enfant risque de ne pas leur parler s’il se trouve exposé à des contenus inappropriés ou violents. Même si un enfant n’a pas de smartphone, ce n’est pas forcément le cas de ses copains…Et puis l’âge des premières expériences en ligne est aussi celui où l’on ne se rend pas compte des conséquences de ce que l’on poste, diffuse ou commente. Charge aux parents d’avoir un regard sur ces contenus, en accord avec l’enfant, pour le responsabiliser, lui expliquer que certains comportements relèvent du harcèlement ou qu’une fois publiée, il est très difficile d’effacer toutes traces d’une photo.

Quels conseils leur donneriez-vous ?

M. D. : Une bonne stratégie peut être d’équiper l’enfant d’un téléphone non connecté autour de 12-13 ans, en laissant passer la première année du collège, même si une forme de pression entre collégiens peut s’exercer. L’idée n’est pas de les mettre en situation d’exclusion par rapport à leur groupe d’amis. Ensuite, lorsqu’ils acquièrent un smartphone, le mieux est de discuter avec eux sur les usages qu’ils comptent en faire pour définir un cadre de confiance, instaurer des moments avec téléphone et des moments sans. Pourquoi pas utiliser des outils de contrôles parentaux mais ils sont limités et il existe de nombreux moyens de les contourner. Il est surtout essentiel que les parents soient exemplaires et ne restent pas eux-mêmes collés à leurs écrans.

Témoignages de parents

François – 45 ans – professeur d’arts plastiques et d’audiovisuel – Douarnenez (29)

2 enfants : Louis, 15 ans, et Gabin, 11 ans

"Jusqu’à son entrée en seconde, Louis n’était pas très demandeur d’un smartphone. Il communiquait avec ses copains via l’application Discord installée sur le PC familial. Il en a fait la demande à la rentrée car tous ses copains en ont un. Comme il est vite tombé dans une boulimie de réseaux sociaux, on lui a dit de faire attention à ses données mais lui nous répondait : « Tant mieux si je suis traqué, les algorithmes vont me proposer du contenu adapté à mes goûts ». Je pense quand même qu’il a déjà un peu de recul sur son smartphone car il ne voit pas l’intérêt de l’emmener au lycée puisqu’il y retrouve ses copains. Pour définir des règles d’utilisation, nous avons décidé avec lui d’observer ses activités via une application de contrôle parental. Avec ma femme, nous avons culpabilisé d’utiliser cet outil… Je ne trouve pas très glorieux d’avoir accès à ces informations. Mais, en même temps, quand on a vu qu’un jour il avait passé six heures sur YouTube on s’est dit qu’il fallait agir. Depuis, nous avons défini un temps limite et supprimé Instagram de son smartphone car il passait beaucoup de temps à papillonner."

Nathalie – 40 ans – architecte d’intérieur – Tel Aviv

3 enfants : Raph, 12 ans, Noam, 8 ans et Ellie, 7 ans

"En Israël, les enfants ont des téléphones plus tôt qu’en France car ils sont souvent autonomes dans leurs trajets dès le début de l’école primaire. Mes deux aînés ont eu leur premier smartphone en CE2, pour assurer leur indépendance et ma tranquillité d’esprit. J’essaie de leur montrer que je leur fais confiance, que ce n’est pas parce que le monde est horrible que je vais faire comme mes copines qui fliquent leurs enfants en les géolocalisant sans qu’ils le sachent. En accord avec eux, nous avons donc installé un outil de contrôle parental. Mais mon rôle c’est aussi de rester méfiante. Ils sont encore innocents et n’ont pas la faculté de repérer le danger comme moi. Deux à trois fois par semaine, je m’assure donc qu’ils n’échangent pas de messages avec des numéros que je ne connais pas parce que ça me fait peur. Il y a un mois, mon cadet a envoyé un message WhatsApp à un youtubeur qu’il adore en l’invitant à se rendre dans notre ville. Comme cette personne fait partie de son quotidien, mon fils ne s’est pas dit que le numéro de téléphone pouvait être celui d’un inconnu… Il aurait été capable de lui donner notre adresse ! J’ai effacé le message et le numéro mais, comme je ne peux pas lui expliquer que j’ai fouillé dans son portable, je lui en ai parlé de façon détournée, en disant qu’on ne sait jamais qui se cache derrière une photo de profil ou un numéro trouvé en ligne."

Julie – 43 ans – restauratrice de mobilier d’art – Orgeval (78)

2 enfants : Maud, 15 ans, et Élodie, 11 ans

"La façon dont moi et mon mari utilisons nos écrans déteint sur nos enfants. Comme nous n’allons pas sur les réseaux sociaux, nos filles n’y vont pas non plus. Notre crédo ce n’est pas d’interdire mais de mettre des règles. Je me souviens d’amis à moi à qui on avait interdit des choses, la télévision par exemple, et qui sont entrés dans une logique de surcompensation par la suite. On a acheté un smartphone à nos enfants quand elles ont commencé à faire des trajets seules entre l’école et la maison : en sixième pour Maud et en CE2 pour Élodie. La plus grande a aussi un ordinateur et la plus petite une tablette. Elles s’en servent pour communiquer avec leurs amis, faire des recherches ou jouer à des jeux en ligne avec des gens qu’elles connaissent. Chez nous, le repas du soir est sacré : on discute et on ne touche pas à nos portables. À certaines occasions on a pu aborder la question du cyberharcèlement ou des bons comportements à adopter dans la société numérique. En revanche, c’est plus difficile de parler de pornographie, elles n’aiment pas aborder ce sujet avec nous. On sait pourtant qu’au collège tous les smartphones ne sont pas équipés d’un contrôle parental et donc que nos filles peuvent être confrontées à ce genre d’images."

Julien – 43 ans – patron d’un studio de jeu vidéo – Lyon (69)

Un enfant : Jules, 18 ans

"Le sujet avec Jules a vraiment été les jeux vidéo. Dès ses trois ans, je lui ai proposé des applications éducatives car je considère que cela peut être un super vecteur d’apprentissage : il a appris le solfège en trois jours grâce à une app ! Vers ses huit ans, il a eu une tablette et s’est mis à jouer à des jeux vidéo comme Minecraft. J’avais fixé une limite de temps à 25 minutes par jour mais ça a donné lieu à beaucoup de discussions et de filouteries de sa part. Ce n’était vraiment pas évident de poser un cadre qui tienne la route. D’autant plus que certains jeux sont programmés pour créer des mécanismes d’addiction qui génèrent de la FOMO (fear of missing out, qui désigne la peur de rater un événement) chez les joueurs. Mais le vrai problème est apparu quand Jules est entré en 5e et qu’il a eu son premier ordinateur personnel. Ce n’était pas indispensable mais c’était plus simple pour faire ses devoirs. Pour garder le contrôle, j’ai passé un deal avec lui et installé un tracker sur son PC pour connaître le temps qu’il y passait. Quand j’ai commencé à trouver louche l’écart entre ce que le tracker mesurait et ce que je percevais, j’ai installé un deuxième tracker en secret. Je me suis rendu compte qu’il se levait à 6 heures du matin pour jouer à Fortnite puis effaçait ses plages de données. Il s’est retrouvé sans PC pendant plusieurs mois ! Mais, malgré cet épisode, nous partageons toujours un lien fort autour du jeu vidéo. Il y a quelque temps, il m’a invité à regarder le stream Twitch de la partie de Counter Strike qu’il disputait avec son équipe. Ça m'a rappelé les terrains de foot de son enfance, quand j’allais voir ses matchs le week-end. Comme lui, j’ai passé pas mal de temps à pratiquer le E-sport (qui consiste à s’entraîner aux jeux vidéo en vue de participer à des compétitions) dans ma jeunesse, donc je sais que cela ne l’isole pas du reste du monde."

Laure – 46 ans – historienne de l’art – Liège (Belgique)

2 enfants : Elise, 11 ans et demi, Lucie, 8 ans

"Elle nous a fait du chantage en nous disant qu’elle était la seule de sa classe à ne pas avoir de smartphone, que cela l’empêchait d’être au courant des conversations qui se poursuivaient après l’école sur les différents groupes Whatsapp. On a tenu face à cette pression jusqu’à ses 11 ans, juste avant qu’elle entre au collège. Au début, on a limité son temps d'utilisation à une heure par jour mais elle réclamait plus. Comme elle a bien réussi son certificat d’études de base (examen permettant d'accéder au secondaire en Belgique), on a augmenté ce temps à 3 heures et on l’a autorisée à installer TikTok. Deux ou trois fois par mois, je m’assois avec elle et je m’intéresse à son fil TikTok. Elle regarde surtout des vidéos de cuisine ou de maquillage. J’essaie de ne pas dire que ces contenus me semblent débiles pour qu’elle se sente en confiance et me parle si un jour elle rencontre un problème ou se sent en danger. Le fait de parler avec elle des vidéos de beauté m’autorise à lui faire remarquer que certaines influenceuses utilisent des filtres qui déforment la réalité. Elle est réceptive à ces échanges, ça lui permet de prendre du recul sur ce qu’elle voit."

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