Quel est le consensus scientifique sur l’influence du dérèglement climatique sur la survenue des événements météorologiques extrêmes ?
J. B. : Il n’est pas facile d’imputer directement un événement extrême au dérèglement climatique. Cela dépend pour commencer de ce dont on parle. Ce qui est indéniable, c’est l’augmentation de la température dans l’atmosphère, que le consensus scientifique attribue aux activités humaines. Quelles que soient les actions entreprises pour réduire l’émission de gaz à effets de serre, en cause dans ce réchauffement, ce dernier va d’ailleurs se poursuivre, en raison de l’inertie du climat. Les canicules, en raison de ce réchauffement, sont plus fréquentes qu’il y a quelques décennies et le seront encore plus dans le futur. En revanche, si on se focalise sur les événements extrêmes en matière de précipitations, que ce soit des pluies très abondantes ou un manque extrême de précipitations, donc la sécheresse, il est plus incertain d’affirmer qu’ils seront plus nombreux dans le futur. Pour évaluer l’impact du dérèglement sur leur survenue, il faut de longues séries de données. Grâce à elles, on peut commencer à constater une augmentation des événements extrêmes dans le sud de la France. Les « événements méditerranéens » arrivent plus souvent qu’auparavant. Cela s’explique par l’augmentation de la température de la Méditerranée, qui gonfle les précipitations venues des côtes africaines. Mais pour l’ensemble du territoire français, il est difficile de dire si ces événements seront, ou non, plus fréquents à l’avenir.
Pourquoi est-ce difficile à dire ?
J. B. : Si on trace sur la courbe des températures, dont on dispose depuis 1950, on voit clairement une augmentation en tout endroit de la France. Pour les précipitations, on observe une forte variabilité d’une année sur l’autre. En revanche, on peut dire que la part de précipitations utiles est déjà moindre, par rapport au passé. Les précipitations utiles, c’est cette part de l’eau issue des précipitations qui rejoint les nappes phréatiques ou les rivières, dont on retranche l’évaporation et les besoins des végétaux, qu’on appelle l’« évapo-transpiration ». On peut déjà dire que la part utile est moindre, même à niveau de précipitations constant, parce que l’augmentation de la température accentue les besoins des végétaux et l’évaporation et que la part d’évapo-transpiration augmente dès lors mécaniquement. La sécheresse de 2022 a marqué les esprits. Pourtant, on constate des déficits pluviométriques qui ne sont pas extraordinaires cette année-là, notamment par rapport aux sécheresses de 1974 ou 1990 par exemple. Mais l’été a durablement été plus chaud de quelques degrés que les moyennes de saison. Les impacts sur la part utile des précipitations ont donc été importants. On le voit, la sécheresse, en elle-même, est une notion vague. De quoi parle-t-on ? De sécheresse pluviométrique ou de sécheresse agricole, qui désigne la sécheresse des sols ? Cette dernière est amenée à être plus fréquente.
Que peut-on prévoir au sujet des inondations ?
J. B. : Les fortes pluies ne sont pas vraiment plus fréquentes qu’avant sur la majorité du territoire français. Les inondations se produisent parce que de fortes précipitations ruissellent sur le sol et vont remplir les rivières, qui débordent. Le réchauffement global a un impact sur leur survenue parce que plus le sol est sec, plus l’eau va avoir tendance à ruisseler, sans imprégner le sol. En résumé, on ne constate pas tellement plus de précipitations mais on fait face à un changement des sols. L’augmentation de la température a un autre effet sur les précipitations. Dans les Alpes, auparavant, les précipitations tombaient sous forme de neige. La neige se stockait naturellement et, à sa fonte, venait lentement alimenter les rivières. Aujourd’hui, les pluies ne sont plus stockées et ruissellent plus vite, pour la même quantité d’eau qui tombe du ciel.

Comment prévenir ces événements extrêmes ?
J. B. : Pour les événements à venir dans un futur proche, la prévision repose sur les modèles météorologiques. On sait bien le faire, même si on ne peut pas dire qu’un orage terrible va s’abattre sur Paris dans six mois. Si on parle plutôt des prévisions sur la fréquence de ces événements, on parle de projections climatiques. C’est ce que nous faisons dans notre laboratoire. Nous participons à l’élaboration de modèles qui combinent les mathématiques et la physique qui vont simuler des centaines de météo possibles jusqu’en 2100. L’intérêt est de pointer les accords entre les différents modèles. Ils sont très raccords sur l’augmentation de la température mais offrent moins d’unanimité sur les vents et les précipitations. Notamment en France, qui est à l’intersection de deux climats, océanique et continental. Cela rajoute de l’incertitude.
Comment s’y préparer ?
J. B. : Même si des incertitudes demeurent sur le niveau de précipitations ou la fréquence des déficits pluviométriques, on sait déjà que les sécheresses agricoles vont se multiplier, en raison de l’augmentation de l’évapo-transpiration. Il faut donc d’ores et déjà que nous nous préparions à disposer de moins d’eau utile. Et pas seulement pour notre besoin vital d’eau, également pour les animaux que nous élevons, pour les industries, etc. La recherche a évidemment un rôle à jouer dans cette préparation. La grave sécheresse de 2022 a éveillé les consciences et on commence à voir se multiplier les collaborations entre les équipes de recherche et les collectivités, pour analyser les nappes phréatiques, par exemple. Le projet Explore 2, porté par l’Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), LIFE Eau&Climat, s’attache à faire des projections sur les impacts du dérèglement climatique sur le cycle de l’eau.
Quel message peuvent porter les chercheuses et chercheurs pour persuader la société de se préparer à une autre gestion de l’eau ?
J. B. : Le premier message que nous pouvons passer, c’est que l’eau a une capacité immense d’interconnexion. Un petit torrent de montagne va en relier un autre, jusqu’au Rhône, puis se jeter dans la Méditerranée. Certaines rivières en Espagne sont influencées par la quantité de neige qui tombent sur les Alpes. Il faut que toutes et tous comprennent que ce qui retiré en amont disparait aussi de l’aval. Malheureusement, la pluie ne tombe pas sur commande. En revanche, on peut réfléchir ensemble à partager au mieux la ressource en eau et poser ensuite des choix collectifs. Sur le plan individuel, il s’agit de ne pas gâcher l’eau. Mais il faut aussi aller voir du côté des pratiques agricoles et industrielles. L’industrie des puces électroniques utilise l’eau de la nappe qui alimente par ailleurs la métropole de Grenoble en eau potable. Avec l’explosion de la demande en micro-électronique, un conflit d’usage ne risque-t-il pas d’advenir ? Il faut s’y préparer. La question du partage de l’eau est une question de justice sociale et d’équité.
La Macif vous aide à agir pour réduire les dommages liés aux risques naturels.