Face au dérèglement climatique, la redirection écologique

Alexandre Monnin, philosophe, co-initiateur du courant de la redirection écologique, encourage les territoires, les collectivités et les collectifs humains à s’emparer de cette question pour réfléchir ensemble à ce à quoi nous devons renoncer face au dérèglement climatique.

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Chut! Magazine
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La multiplication des événements climatiques extrêmes peut-elle conduire la société à envisager de renoncer à des modes de vie qui contribuent au dérèglement climatique ?

A. M. : De manière théorique, elle devrait nous amener à réfléchir à se poser la question des activités auxquelles il faudrait renoncer et celles à développer parce que nos milieux changent, en résumé, la question de l’adaptation. Mais il serait une erreur de penser que la multiplication d’événements intenses et violents va automatiquement emporter une adhésion aux changements nécessaires et à l’idée de ce à quoi il faut renoncer. Même face à ces événements dévastateurs, certains trouvent le moyen de développer des croyances qui relativisent ou nient le dérèglement climatique. Rappelons-nous la dernière campagne électorale aux Etats-Unis. Certains soutiens de Trump affirmaient, alors que des ouragans dévastaient le pays, que ces aléas étaient provoqués par le parti démocrate, parce qu’ils s’abattaient sur des États républicains… Quand je donne des conférences, on me dit souvent : la physique va nous mettre d’accord. Malheureusement, l’idéologie triomphe encore de la physique… Ce n’est pas le fait d’être confronté à la catastrophe qui permet de dépasser les clivages idéologiques. Dans les cas de redirection écologique pris par certains territoires, on constate que ces décisions se prennent plutôt dans un contexte d’acculturation aux enjeux climatiques.

A quoi nous faut-il renoncer collectivement ?

A. M. :Il y a deux aspects différents à la réflexion sur les renoncements. Renoncer pour atténuer les émissions de gaz à effet de serre ou renoncer pour s’adapter au fonctionnement nouveau du climat ? Pour le second, ça dépend bien sûr de la spécificité de chaque territoire. Il faut entrer dans le détail, faire des enquêtes de terrain. Pour la redirection écologique d’un territoire, il faut partir des attachements, pour comprendre ce qui est acceptable ou non, pour les personnes concernées.

Alexandre Monnin
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Que voulez-vous dire par « attachements » ?

A. M. :Pour atténuer nos émissions de gaz à effets de serre ou nous adapter à la nouvelle donne climatique, nous devons remettre en question des modes de vie profondément ancrés. Il faut faire attention aux ressentis, aux « attachements » à ces habitudes. Surtout qu’elles sont aussi marquées par des inégalités passées et présentes. Alors qu’on a aménagé le territoire pour l’usage de la voiture en priorité, on ne peut pas dire aux gens qu’il faut se passer de ce mode de transport sans remettre en cause aussi cet aménagement de l’espace.

Comment prépare-t-on un territoire à la survenue d'aléas naturels ? Et comment en faire une affaire collective ?

A. M. :Cette préparation relève de différents acteurs. On peut partir du cadre existant, celui par exemple de la gestion de crise. De nombreux professionnels travaillent ce champ depuis longtemps. Comment amplifier leurs actions à la mesure de ce qui est nécessaire ? Les assureurs sont eux aussi concernés par le risque qui se multiplie. Faut-il changer de logique, de l’indemnisation à la prévention ? De mon point de vue, il faut partir des « concernements », comme disait le philosophe Bruno Latour, ce qui pousse les gens même à se relever la nuit. A l’échelle des gens qui voient que leurs activités doivent se modifier, au risque sinon d’aller dans le mur. Il faut mener des enquêtes, pour comprendre quelles sont les voies possibles. Il faut appuyer ces personnes concernées, les épauler, leur apporter des réponses nouvelles.

Avez-vous des exemples de pistes de redirection, de réponses nouvelles ?

A. M. :La réflexion sur la redirection écologique remet en cause les fondamentaux de nos modèles économiques actuels. La logique de l’investissement, aujourd’hui, ne va pas dans le sens de la valorisation économique du tort causé à l’environnement. Résultat : on crée des actifs échoués pour demain [NDLR : Les "actifs échoués" sont, selon le concept développé par Alexandre Monnin, les investissements faits dans des produits ou des procédés qui aggravent le changement climatique.]. Je pose pour ma part la question d’intégrer ces futurs obsolètes dans le bilan des entreprises qui les financent. Dans Le Mystère du futur, l’auteur de science-fiction Kim Stanley Robinson, invente, en se fondant sur les dernières recherches sur le sujet, un mécanisme qui valorise financièrement le fait de ne pas extraire de pétrole. Il faut réfléchir à récompenser la non-action, quand il s’agit de renoncer à des actes destructeurs.

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