Des chiffres qui donnent envie de crier victoire : en 2022, seuls 6,2 % des lycéens déclaraient fumer quotidiennement contre 17,5 % en 2018, d’après une étude de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) parue en janvier. Un taux de consommation presque divisé par trois, résultat d’un ensemble de mesures prises depuis plusieurs années : interdiction de la publicité pour le tabac, mise en place du paquet neutre depuis 2017, mais aussi, hausse régulière des taxes sur les produits tabagiques, « l’une des mesures les plus efficaces pour réduire le tabagisme, notamment chez les jeunes », selon Amélie Eschenbrenner du Comité national contre le tabagisme (CNCT). « Tout cela a contribué à dénormaliser le tabagisme dans la société », ajoute la responsable communication de cette association fondée en 1868. Cette tendance à la baisse se retrouve également dans le reste du monde, notamment en Nouvelle-Zélande, un pays « avant-gardiste dans la lutte contre le tabac » où moins de 5 % des adolescents seraient fumeurs, d’après Amélie Eschenbrenner. « En plus d’avoir mis en place des mesures rapidement, on y trouve un meilleur respect des législations en place. En France, on constate que les buralistes sont encore très nombreux à vendre du tabac aux mineurs, alors que c’est interdit depuis plus de quinze ans », déplore-t-elle.
Limiter la première expérience de la cigarette
Reste qu’il faut également limiter l’initiation au tabac ou à la nicotine. Autrement dit, empêcher les jeunes de se laisser tenter par une première cigarette, qui pourrait les plonger ensuite dans l’addiction. En 2018, une équipe de chercheurs britanniques avait estimé que 69 % des personnes essayant de fumer une fois deviendraient ensuite des fumeurs réguliers. Là encore, la bataille se gagne progressivement : d’après l’étude de l’OFDT, le niveau d’expérimentation du tabac chez les collégiens a été divisé par deux, chutant de 21,2 % à 11,4 % entre 2018 et 2022, et selon Amélie Eschenbrenner, l’âge moyen de la première cigarette est passé de 12-13 ans (classe de cinquième) à 14 ans. Maxence, 18 ans, a déjà fumé en soirée, pour « accompagner des copains ». « Jamais une clope complète, juste quelques “taffes”. Mais je n’ai jamais ressenti de pression sociale, rien ne m’a poussé à le faire. C’était pour tester la sensation, pas pour m’y mettre », assure le jeune homme, qui a vu deux de ses grands-parents succomber à des années de consommation et estime qu’il n’a de toute façon « pas d’argent à investir là-dedans ». D’après lui, « ceux qui restent fumeurs avaient déjà une grosse consommation dès le début du lycée ».
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Une épidémie de vapotage
Face à cette ringardisation de la cigarette, l’industrie du tabac a dû parier sur de nouveaux produits pour attirer les jeunes consommateurs : cigarettes électroniques ou puffs ont le vent en poupe. D’après une étude d’Alliance contre le tabac, publiée en novembre, 15 % des 13-16 ans consommeraient ces cigarettes électroniques jetables. Maxence a justement été témoin du succès des outils de vapotage parmi ses pairs et s’y est essayé aussi. « Tu peux tester plein de goûts différents, ça fait de la grosse fumée, tu peux faire des formes, c’est rigolo », justifie-t-il. De son côté, Amélie Eschenbrenner estime que l’on fait face à une véritable « épidémie de vapotage ». À tel point que le CNCT a demandé l’interdiction de ces produits, une doléance actuellement à l’étude auprès de la Commission européenne. En attendant, les diverses vapes se trouvent aisément dans les kiosques à journaux, certains magasins de décoration ou des restaurants, à des prix beaucoup moins élevés que des cigarettes classiques. Idem pour les Snus ou les sachets de nicotine pure, qui contiennent « des taux alarmants de nicotine et induisent une dépendance très rapide » selon la Responsable communication du CNCT, et dont les échantillons peuvent se procurer gratuitement sur internet, sans aucun contrôle sur l’âge des souscripteurs. « Le développement de tous ces produits est tellement anarchique qu’il a fallu agir avant qu’ils ne deviennent omniprésents, explique Amélie Eschenbrenner. On assiste à une baisse du tabagisme, mais à une hausse du vapotage chez les adolescents, alors que pour eux, ce n’est pas un outil de sevrage. » Toujours d’après Alliance contre le tabac, 47 % des 13-16 ans ont commencé leur initiation à la nicotine avec les puffs et 23 % d’entre eux se sont ensuite mis à consommer d’autres produits tabacologiques.
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Un combat marketing
Le CNCT œuvre depuis plus de 150 ans pour informer sur les risques du tabac et plaider auprès des instances de législation afin de « faire avancer certaines lois, les renforcer et les faire appliquer », détaille sa responsable communication. Un combat similaire à celui de David contre Goliath, tant l’industrie du tabac déploie tout un arsenal marketing pour séduire les ados, allant même jusqu’à investir les réseaux sociaux et faire appel à des influenceurs pour promouvoir leurs produits. En réponse, le CNCT a dû également se mettre à la page et a noué un partenariat avec Ketty Deléris (@kettydls.addicto, ndr), une influenceuse tabacologue sur TikTok. Surtout, l’association a trouvé un nouvel angle de communication, autre que les dangers sur la santé. « On a compris que la jeunesse d’aujourd’hui est beaucoup plus sensible aux droits humains et à l’environnement, alors on explique que l’industrie du tabac est l’une des plus polluantes ou que ce sont souvent des enfants qui travaillent dans les champs de production. Et ça fonctionne, se réjouit Amélie Eschenbrenner. Les données montrent qu’on peut parvenir dans les prochaines années à une génération sans tabac, ce qui était impensable il y a cinq ans. Donc on est plutôt optimistes pour l’avenir. »