La forêt sous surveillance de l’intelligence artificielle

Pour détecter au plus vite les départs de feux, les pompiers commencent à compter sur des dispositifs d’intelligence artificielle. En France, l’association Pyronear développe une solution open source, grâce à l’engagement de ses bénévoles.

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Chut! Magazine
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Avec Chut!, Macif explore les solutions possibles face aux risques liés au changement climatique

Avec le vent qui alimente les flammes, les pompiers ont un autre ennemi : le temps. Quand un feu prend, les secondes qui s’écoulent sont autant de mètres carrés de forêt qui s’envolent en fumée. La détection la plus rapide et la plus précise constitue dès lors un enjeu majeur de la lutte contre les feux de forêt. Du côté des services départementaux d’incendie et de secours (Sdis), comme des services de l’Etat, on n’ignore pas l’impact du dérèglement climatique sur la multiplication du risque « incendies ». En atteste la publication d’un rapport, en janvier 2024, consacré à la « politique de prévention et de lutte contre l’incendie de forêt dans un contexte d’extension et d’intensification du risque dû au changement climatique ».

Le risque de feu, doublé, voire quadruplé

Parce que le fait est établi : le dérèglement du climat accentue le risque « incendies », principalement en raison de l’assèchement des végétaux, accru par la hausse des températures. « La sensibilité météorologique élevée aux feux de forêt n’a cessé de croître en France depuis les années 1960, avec une augmentation plus nette depuis l’an 2000. Elle concernait en moyenne entre 2 et 3 % de la surface du territoire national entre 1960 et 1970, pour atteindre environ 6 % à la suite des changements de ces vingt dernières années », indiquent les auteurs du rapport. La tendance doit se poursuivre. La moyenne des jours « sécheresse feu météo élevée », un indicateur fondé sur les températures et l’état de la végétation, pourrait doubler, voire quadrupler, selon les scénarios d’évolution du climat tracés par le Giec. « Dans [ce] contexte que nous connaissons, il est indispensable d’adapter notre système de lutte contre les feux de forêts. Face à l’évolution de l’intensité et de la croissance de ces derniers, nous devons collectivement intensifier nos efforts […], en anticipant les risques et en développant de nouveaux moyens d’action, car ce sont les décisions que nous prenons maintenant qui vont permettre, dans dix ou vingt ans, de continuer à être efficace dans la lutte contre ces incendies majeurs », pose Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, à la réception du rapport.

Reconnaissance d’images

Parmi ces « nouveaux moyens d’action », l’intelligence artificielle fait figure d’atout-maître dans la surveillance des forêts. De nombreuses entreprises, jusqu’au leader mondial des cartes graphiques, Nvidia, développent des solutions, fondées sur la reconnaissance d’images.

En France, l’association Pyronear joue la carte de l’open source et de la « tech for good », ce mouvement qui veut mettre les technologies au service du bien commun. Elle est née d’une saison de « Data for good » : au cours d’un webinaire, dix projets potentiels sont « pitchés » à la communauté de cette association, qui rassemble plus de 4 000 bénévoles disposant de compétences techniques.

En 2019, cinq jeunes ingénieurs proposent de tester leur idée d’intelligence artificielle de détection de feux de forêt. « Une solution simple : on installe des stations de détection sur un point haut en forêt. Dans ces stations, plusieurs caméras et un micro-ordinateur pour les contrôler, prendre des photos toutes les trente secondes et les analyser », détaille l’un de ses co-fondateurs, Mateo Lostanlen.

C’est une IA de reconnaissance d’images, « locale et très spécialisée donc frugale [en énergie] », précise celui qui se charge de l’analyse. La détection d’un potentiel feu naissant peut ensuite être envoyé au Sdis « et les pompiers confirment ou infirment l’information », poursuit-il. Un premier partenariat avec le Sdis d’Ardèche a affiné la solution, pour répondre aux réalités des pompiers.

Cinq ans plus tard, l’association Pyronear a une existence légale, salarie deux personnes et peut compter sur un réseau de 140 membres actifs, des codeurs ou codeuses et autres techniciens, disposés à offrir deux heures de leur temps, par ci par là, pour améliorer les solutions trouvées. « On a par ailleurs besoin d'expertise en droit ou en comptabilité », complète Mateo Lostanlen. Sur le terrain, 25 stations sont déjà installées en France. Avec un premier contrat signé avec le Sdis 77, pour l’installation de quatre stations en forêt de Fontainebleau.

Solution moins onéreuse

« On travaille à proposer une solution crédible et performante sur un modèle open source et à but non lucratif », explique-t-il. Il précise : ce double choix poursuit un objectif : proposer aux services publics de lutte contre les incendies une solution moins onéreuse que les acteurs privés de ce marché en plein développement, où la commande publique s’intensifie. Le choix de la licence libre offre un autre atout : la rapidité de développement. « C’est d’abord un choix de conviction, sourit l’une des bénévoles de l’association, Camille Modeste. Par ailleurs, l’open source accélère les processus, puisque chacune et chacun peut améliorer le code. » Néanmoins, en raison de la forte concurrence qui se dessine dans le secteur, l’association envisage de faire évoluer son modèle, en changeant la licence. Si le code continuait à rester ouvert, les paramètres d’entraînement pourraient être pour leur part protégés.

La Macif vous aide à agir pour réduire les dommages liés aux risques naturels.

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