Territoires ruraux, entre arrivées et départs
Ils représentent 88 % des communes et 33 % de la population française. Les territoires ruraux sont importants en France, et si l’on a parfois l’impression que depuis quelques années plus de gens quittent la ville pour s’installer à la campagne, la réalité est plus complexe. D’ailleurs, les statistiques ne relèvent pas d’exode urbain, bien que la pandémie ait pu renforcer une durable tendance à la périurbanisation, mais les chiffres globaux masquent des réalités différentes selon les régions. Si certains départements comme la Haute-Marne ou la Nièvre continuent de se vider, la population de Vendée, comme celle des Landes, augmente, elle, rapidement. Comme l’explique la géographe ruraliste Claire Delfosse, il faut être encore plus précis : « Sur un même territoire, il existe parfois de grosses différences d’une commune à l’autre. »
Différentes dynamiques, qui impliquent différents défis. Pour une ville moyenne du centre de la France comme Tulle, préfecture de la Corrèze, l’enjeu est de maintenir sa population stable, du moins à l’échelle de l’agglomération. Comme le constate Michel Breuilh, président de Tulle Agglo et ses 45 000 habitants, « la ville centre a tendance à se vider au profit de la périphérie. On déménage de plus en plus loin ». À l’inverse, en Loire-Atlantique, la commune de Vallet, au cœur du vignoble nantais, doit gérer la hausse de sa population, qui va bientôt dépasser les 10 000 habitants. Pour son maire Jérôme Marchais, « il est clair que nous ne sommes pas dans une zone fragilisée. Le fait d’être sur un axe entre Nantes et Cholet, sur le passage d’une quatre voies, est un atout. Mais la problématique est de ne pas devenir une ville dortoir de ces deux grandes villes et qu’on puisse vivre pleinement sur notre commune ».
Lutter contre le vieillissement
Quel que soit leur dynamisme, les villes rurales luttent pour attirer une population jeune. « À Tulle, nos centres de formation, notamment pour apprentis, permettent d’attirer de jeunes adultes, détaille Michel Breuilh. Mais dès leur formation terminée, la faible perspective d’emploi les pousse à migrer vers les grandes métropoles. » On observe ainsi un creux démographique sur les personnes entre 30 et 60 ans. L’emploi est une priorité, mais l’accès aux services, comme des crèches pour les jeunes parents, est aussi indispensable pour travailler sereinement. « Les services, en particulier de santé, sont un critère majeur pour la population, expose Claire Delfosse. Mais pour attirer les professionnels de santé, il faut non seulement qu’ils trouvent des locaux pour s’installer, mais également de bonnes conditions de vie, comme un emploi pour le conjoint ou la conjointe. »
- Lire aussi : La jeunesse rurale, laboratoire du futur ?
Le sujet est important à Tulle : « Sur ce plan, il y a une compétition entre territoires, qui rend difficile d’avoir des médecins. Pour résoudre ce problème, la ville de Tulle a choisi de recruter quatre médecins qu’elle salarie, ce qui permet d’éviter un manque quand un médecin part à la retraite, puisque le poste perdure et peut être offert à d’autres. » Grâce à son attractivité, Vallet propose à ses habitants tous les services nécessaires, mais la commune fait face à un autre problème. « Le prix de l’immobilier grimpe à grande vitesse, regrette Jérôme Marchais, ce qui empêche les jeunes adultes de s’installer et ceux de la région de trouver une maison. On perçoit une nette stagnation dans nos écoles primaires, alors que les élèves en collège augmentent, car les nouveaux venus ont souvent eu une première partie de vie dans un autre territoire. »
Un coup de frein à la périurbanisation
L’accès au logement est un enjeu qui devient d’autant plus important depuis la loi ZAN du 20 juillet 2023, pour « zéro artificialisation nette ». L’objectif : réduire l’artificialisation des sols, et donc la construction de nouveaux bâtiments. Une mauvaise nouvelle pour qui veut bâtir sa maison en campagne. Et une inquiétude pour les maires. « Il y a eu des excès, et il fallait mettre un frein à la construction, admet Jérôme Marchais, mais la brutalité avec laquelle cela se fait augmente le prix de l’immobilier. Je me retrouve à la tête d’une commune avec une large superficie et pourtant en raréfaction de terrains à bâtir. » La commune a d’ailleurs fait le choix d’acheter certaines parcelles pour les revendre en dessous du prix du marché aux jeunes Valletais, « à un prix que je trouve encore élevé », soupire le maire.
Pour Michel Breuilh, la loi sur l’artificialisation s’applique mal aux territoires ruraux : « L’idée de la loi est de privilégier les constructions en hauteur, mais cela ne peut pas se faire ici. Malgré son bien-fondé, j’ai peur qu’elle accentue l’abandon progressif du secteur rural. » Claire Delfosse, quant à elle, voit dans cette loi « un enjeu majeur : celui de la rénovation. Cela implique aussi de revaloriser des savoir-faire artisanaux dans la construction, pour développer une économie circulaire ».
Elle découvre également se développer d’autres manières d’habiter : « La location, la colocation ou l’habitat partagé. Mais il faut que les communes soient capables de répondre aux demandes, notamment l’accès à un jardin, ou des habitats adaptés aux personnes âgées. » Cela implique également de repenser la mobilité, qui ne peut plus reposer uniquement sur la voiture. La plupart des départements ont ainsi mis en place des plateformes de mobilité, qui visent à accompagner les publics les plus fragiles, en les aidant à trouver un véhicule, une solution de covoiturage ou de transport à la demande.
Une question d’image
Au-delà des conditions matérielles, l’image d’un territoire joue énormément sur l’envie de s’y installer. « J’ai récemment participé à un jury de thèse qui était très clair là-dessus, explique Claire Delfosse. Il portait sur l’installation de jeunes vétérinaires en milieu rural, et constatait que des départements comme l’Yonne étaient délaissés, car associés à ce qu’on se représente comme la diagonale du vide. » Une prophétie qui devient ainsi très vite autoréalisatrice. Pour autant, ce n’est pas une fatalité. « Le dynamisme des associations et la multiplication des projets culturels font beaucoup pour l’image d’un territoire, poursuit la géographe. Il suffit parfois d’une MJC active, mais aussi les projets non culturels comme des garderies, pour donner une image dynamique d’un territoire rural. »
- Lire aussi : Les multiples facettes des campagnes françaises
C’est dans cet esprit que la ville de Tulle a misé sur le projet artistique Lost In Traditions, qui mêle création musicale et théâtrale. La commune de Vallet s’est quant à elle lancé dans la création d’une salle de spectacle qui accueille également une école de musique, un tiers-lieu et bientôt une micro-folie, un musée virtuel développé par avec le ministère de la Culture et le Parc de la Villette à Paris. L’objectif : permettre l’accès à une large offre culturelle. Pourtant, renforcer l’attractivité a aussi son revers de médaille : « À force de grandir, on perd son état d’esprit rural, observe Jérôme Marchais. Et il est parfois difficile de faire comprendre aux personnes installées de longue date sur la commune du bienfait de ce changement. »