Loïc Blaise, l'explorateur qui défie la sclérose en plaques et la crise climatique

Enfant, Loïc Blaise avait peur de l’avion. Adulte, il est devenu aviateur avant de tomber malade, touché par une sclérose en plaques. Privé de sa licence de vol, il se lance un défi inédit : réaliser, en compagnie d’un co-pilote, le tour du monde des glaces le long du cercle polaire arctique. Rencontre avec un aventurier du climat.

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Rédaction SoPress

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Préférant mener une vie de « chat de gouttière », Loïc Blaise quitte l’école adolescent. Mais à 23 ans, il reprend ses études pour devenir pilote d’avion. Pas n’importe quel pilote : l’un des plus jeunes, par exemple, à être qualifié pour piloter l’un des derniers hydravions PBY Catalina opérationnels, un patrouilleur-bombardier vétéran de la Seconde Guerre mondiale. Et puis, patatras : le 3 juillet 2012, à 34 ans, il apprend qu’il est atteint d’une sclérose en plaques. À l’annonce d’une détérioration inéluctable de son état de santé, s’ajoute la plus grande des privations : le droit de voler.

Mais l’homme n’est pas du genre à capituler : il va convaincre les autorités de l’autoriser à remonter dans un cockpit, et le cosmonaute russe Valeri Tokarev d’être son copilote pour une aventure inédite, le premier tour aérien du Cercle arctique. Six ans jour pour jour après le diagnostic, il s’envole pour un tour du monde des glaces, le long du cercle polaire arctique. Près de 23 000 km à travers trois continents, trois océans et sept mers pour sensibiliser l’opinion publique à la nécessité de ne pas se résigner face à la fatalité d’une maladie ou d’une catastrophe écologique. Une expédition qui lui vaudra le prix de l’aventurier de l’année 2018, décerné par le Festival international du film d’aventures de Dijon. Depuis, Loïc Blaise travaille à un nouveau projet d’expédition à bord d’un avion zéro émission.

Il compte y faire embarquer des héros de la transition écologique œuvrant dans les zones les plus isolées et menacées du globe pour les faire connaître au plus grand nombre. Avec toujours cette obsession en tête : prouver que rien n’est impossible et que face à l’urgence il y a obligation de moyens et de résultat.

Voler a toujours été votre rêve ?

Gamin, je trouvais ça beau, les avions dans le ciel ou le ballet des Canadairs dans la mer, à La Ciotat. Mais je n’ai jamais considéré que ce métier était pour moi. Déjà, j’avais super peur de l’avion ; ensuite, il n’y avait pas spécialement d’argent à la maison pour imaginer faire ce genre d’études ; et enfin, parce que je les ai arrêtées à 16 ans, les études ! Je m’ennuyais, ça ne m’intéressait pas. J’avais envie de gagner ma vie, de bouger. Quand j’ai arrêté l’école, j’ai fait plein de petits boulots, comme servir des couscous à Strasbourg, puis je suis tombé amoureux d’une Allemande, je suis parti vivre là-bas…

Quand et comment l’aviation est-elle devenue une passion ?

C’est parfois le hasard, la chance, qui permet de rencontrer son destin : un pilote fraîchement retraité m’a emmené faire un baptême de l’air. C’était vraiment très bizarre : lors de ce vol d’initiation, à la seconde même où j’ai touché le manche, j’ai su que j’étais à la maison. Il y a peut-être une question de génétique là-dedans, parce que j’avais un grand-père pilote dans l’armée, puis pilote de ligne. Mais il est mort longtemps avant ma naissance.

Devenir pilote, sans diplômes, est déjà une belle aventure.

Quand j’ai rencontré l’aviation, j’ai trouvé mon but. C’est comme quand on est amoureux : on déploie une énergie folle pour séduire cette jolie fille – ou ce joli garçon – dont on rêve ! J’ai repris mes études à 23 ans. Bac par correspondance, cours du soir, etc. Puis je suis devenu steward chez Air France – j’ai adoré être hôtesse de l’air ! –, tout en prenant des cours – très chers – de pilotage en aéroclub. Ensuite j’ai passé le concours de pilote de ligne, obtenu des bourses à la vocation… On a dû me trouver méritant !

Qu’est-ce qui vous a rendu amoureux de l’aviation ?

J’étais surtout intéressé par la dimension « artisanale » du métier, qui est la moins éthérée, celle qui fait le moins rêver, mais la plus noble. L’avion, c’est comme un instrument de musique, tu fais corps avec lui, c’est une chair vivante, tu le sens vibrer, bouger, et tout le jeu réside dans l’harmonie qu’il faut que tu préserves, l’équilibre. Tu fais des échanges polis avec ta machine et l’environnement. Les bonnes décisions peuvent faire gagner en énergie, en sécurité. Je me dis que le monde se porterait mieux s’il était gouverné ainsi, en ayant conscience que pour aller de A à B, on a le droit à tant de ressources et basta. On ne triche pas avec un avion : quand il n’y a plus d’énergie, les moteurs s’arrêtent et tu tombes. Tu ne traînes pas quand l’alarme dans le cockpit dit « feu moteur », tu as sept secondes pour régler le problème, sinon tu es mort. Depuis combien de temps sait-on qu’on est en « feu moteur » pour la planète ?

loic blaise

 

En 2012, on vous a diagnostiqué une sclérose en plaques. Quand on vous annonce cette maladie très grave, la conséquence la plus cruelle est de ne plus pouvoir voler, vraiment ?

Je ne supportais pas l’idée de ne plus être en l’air. Voler, c’était ma pulsion de vie, mon moteur. En perdant le ciel, j’ai perdu le désir de vivre, de me lever le matin. Cela a été très compliqué durant deux ans. J’ai paniqué et passé des mois dans mon canapé à enchaîner les pizzas surgelées en jouant à la PlayStation. Une catastrophe. Jusqu’au moment où j’ai réalisé que même sans avion j’étais encore pilote… de mon propre destin

Sachant que cette maladie ne peut que s’aggraver, comment vous êtes-vous accrochés à l’idée d’obtenir à nouveau le droit de voler ?

Ça a pris du temps, ça a commencé par une rencontre avec un moine qui m’a enfermé durant trois mois. Des semaines à se lever et se coucher avec le soleil, manger végétarien, réfléchir à éliminer tout ce qu’il avait de toxique en moi. La toxicité a de nombreuses significations différentes, du tabac à l’alcool en passant par la nourriture, le stress qui bousille la santé… J’ai compris que si je ne coupais pas les poisons, je n’arriverais pas à avancer. Que je n’étais pas étanche au monde autour de moi. S’il va mal, je vais mal. Ce n’est pas métaphysique, la qualité du monde dans lequel on vit, ce que l’on respire, que l’on mange, influe très concrètement sur notre santé. Cette retraite ayurvédique au Monténégro a été un déclic. J’ai retrouvé l’envie et l’énergie de me battre, pour moi, mon environnement et les autres parce qu’au fond c’est la même chose. Et puis, en me documentant, je me suis rendu compte de ce qu’était la réalité des mondes arctiques aujourd’hui, et j’y ai vu un parallèle évident avec ce que je vivais : un effondrement inexorable et permanent. Et si mon avenir devait signifier l’isolement et la paralysie, je devais mettre le cap sur les glaces, puisque ceux qui connaissent le mieux ces problématiques sont les gens du Grand Nord !

Dans un premier temps, l’idée est simplement de vous rendre sur place, à pied ?

Oui, j’ai puisé dans mes rêves de gosse. L’Appel de la forêt, de Jack London, est un des premiers bouquins que j’ai lu enfant, ma première grande évasion. C’est une énergie sous-estimée, les rêves de gosse. Il faut savoir retourner honnêtement vers celui qu’on était à 7 ans… C’est très jungien de s’adresser à son enfant intérieur ! Bref, en tirant les fils, j’ai découvert qu’il y avait un tour du monde inédit en avion du cercle arctique. Il y a eu des pilotes isolés, quelques pionniers français même, mais ils n’avaient fait que des portions du trajet. Je me suis dit qu’unifier des territoires qui sont tous sous le coup de la même menace, au nom d’une cause commune, était un bon préambule.

Ne pouvant voler, vous avez monté ce projet sans être certain de pouvoir être aux commandes ?

Oui, et cela a été une autre grande leçon : accepter de taire son ego. Mais j’ai finalement obtenu une dérogation pour pouvoir être commandant de bord à condition d’avoir un autre pilote qualifié dans la machine. Et puis j’étais limité sur la taille, le poids de l’avion, tout un tas de restrictions. Mais si je n’avais pas eu ces autorisations, je l’aurais fait en tant que passager. L’important c’est que les choses soient accomplies, ce n’est pas qui les fait. Si on arrive à comprendre ça, d’ailleurs, on ira beaucoup plus vite pour résoudre tous nos problèmes collectifs.

Cela a été une prouesse géopolitique de monter cette expédition Polar Kid à travers trois continents, sept mers et trois océans.

Ah oui, il s’agissait de traverser notamment la Russie et les États-Unis – et avec un avion et un copilote russes ! Pour convaincre chacun, il a fallu jouer sur des leviers différents. Pour les Russes tu fais appel à leur ego, la possibilité de participer à une aventure inédite – ainsi Valeri Tokarev, pilote d’essai et de chasse, cosmonaute qui a passé 189 jours dans la station spatiale internationale, n’avait pas besoin de mettre son nom dans l’Histoire encore une fois, mais c’était une opportunité qu’il a voulu saisir, un super bonhomme. Pour les Américains, tu vas leur présenter davantage le côté Rocky, l’abnégation, la combativité du grand malade… Il y a la conscience écologique et la préservation de la planète pour les Scandinaves. La lutte contre la sclérose en plaques pour les Canadiens. L’important, c’est que chacun a un moteur pour faire cause commune.

Comment est-ce de constater de ses propres yeux les effets du dérèglement climatique dans le Pôle Nord ?

Ce que j’ai vu sur place est bien pire que ce que je pouvais imaginer. Il y a 25 degrés d’écart dans l’Arctique entre les normales saisonnières et les pics de température. Au moment où nous nous parlons, il fait plus chaud au Groenland qu’à Paris. Il y a des endroits où il y avait deux mètres d’épaisseur de glace il y a quinze ans, et quarante centimètres aujourd’hui. On en est là. Je devrais être sur place en ce moment même avec des chiens, mais on a dû annuler parce que la glace est trop fragile. L’Arctique se réchauffe à une vitesse exponentielle par rapport au reste du monde. Ce sont des gens qui meurent, des villages rasés, des terres qui s’effondrent. Les pôles agissent comme un climatiseur pour l’ensemble du climat planétaire. Et les glaciers qui fondent, c’est la hausse du niveau de la mer, c’est de l’eau douce qui se mélange à de l’eau salée, ce qui bouleverse les courants et modifie les climats. Mais on n’est pas obligé d’aller si loin pour constater les dégâts : la mer de glace dans les Alpes recule à vue d’œil. Que faut-il pour que le monde comprenne l’urgence ?

Cette reconversion en explorateur lanceur d’alerte vous aide à accepter la fatalité de la maladie ?

Voler malgré la maladie est une façon de refuser la fatalité. La difficulté avec les maladies chroniques, quelles qu’elles soient, c’est de trouver l’énergie de se battre tous les matins. À chaque fois que je parle avec des gens malades qui me demandent comment je fais, je leur réponds que l’envie est un moteur puissant. Il faut trouver en soi quelque chose qui motive. Peu importe ce que c’est, mais il faut une motivation, sinon on ne tient pas ! L’essentiel, c’est aussi de comprendre qu’on n’est pas étanche au monde, que prendre soin de la planète, et des autres, ça revient à prendre soin de soi-même. Ce n’est même pas de l’altruisme. Mais des moteurs j’en ai d’autres – un petit garçon notamment. Que vais-je lui laisser comme image de l’homme qu’il peut devenir si son père devient un type en fauteuil ou dans le canapé qui a lâché l’affaire ?

On vous sent impliqué. Pas résigné, mais très en colère.

La colère est une énergie sous-estimée. Elle est perçue parfois comme destructrice, mais elle peut aussi être un moteur puissant. Notre devoir d’être humain est de protéger la planète et notre avenir, quel que soit le prix à payer. Quand on détruit les écosystèmes barrières, on ouvre la porte à une pandémie mondiale. En 2012, une transition énergétique complète pour l’ensemble de la planète coûtait 4 500 milliards de dollars. C’est énorme ? Mais combien ont coûté le Covid-19, les mégafeux, la désertification ? Beaucoup plus ! J’ai grandi avec Tchernobyl et l’Amazonie en péril. Qu’a-t-on fait depuis ? À un moment, je pense qu’il faut accepter de réagir par la contrainte et les limites planétaires.

Vous restez optimiste ?

Aujourd’hui ça bouge dans le bon sens, à plein d’endroits. Mais quand je vois des groupes pétroliers qui vantent leur investissement dans la transition énergétique, électrique, les fermes solaires, etc. Ce sont des gens qui ont toujours méprisé la vie. Ils connaissaient les conséquences de leurs actions sur le climat, mais qui ont fait passer le capital avant l’humain. Ce n’est pas seulement par le financier que l’on va réussir à changer la donne et parvenir à un arrêt massif de ces comportements de prédation vis-à-vis de la planète et du vivant. C’est par l’humain, le désir, l’empathie, la bienveillance.

L’impact de l’aviation civile sur le climat est de plus en plus vilipendé.

Je discute parfois avec des gens qui voyagent beaucoup pour leur plaisir, des courts séjours, loin. Ils me disent : « J’ai le droit, j’ai beaucoup travaillé. » Mais c’est quoi cette histoire de droit ? Un aller-retour Paris-Marrakech c’est grosso modo l’empreinte d’un village burkinabé pendant un an. Il faut arrêter de se faire des allers-retours en avion pour des week-ends, privilégier des voyages longs et de qualité.Bientôt, avec mes équipes, nous allons faire voler un avion de recherche et de sauvetage. C’est un avion qui pourra transporter du matériel et dix-neuf personnes, avec une empreinte zéro. C’est aujourd’hui, c’est possible et c’est le minimum. Il n’y a pas de recette magique, ni de technologie miracle. Il faut voler moins et mieux. Se poser la question de la fin et des moyens. Trop souvent, on nous vend des conquêtes spatiales ou de grandes aventures technologiques qui ne servent qu’à flatter l’ego de milliardaires comme Jeff Bezos. C’est obscène. Il faut se dépasser pour les bonnes raisons : au service de la planète et des populations, de l’intérêt général.

Cet article est issu du numéro 1 du magazine Vous! par Macif sorti en 2023. Pour découvrir le numéro 2, c'est ICI.

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