« Nous avons une responsabilité dans l’aménagement du littoral » Éric Chaumillon

Hé… la mer monte !. Tel est le titre d’un show scientifique et grand public qui s’intéresse au changement climatique et à ses impacts sur le littoral. Parmi eux, un risque encore trop sous-estimé en France : la submersion. Quels en sont les grands enjeux et les premières solutions à l’œuvre aujourd’hui ? Réponses avec l’un des protagonistes de ce spectacle, Éric Chaumillon, professeur à l’université de La Rochelle, spécialiste de la géologie marine et littorale.

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Rédaction SoPress

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En quoi consiste ce phénomène de submersion du littoral et quelles en sont les causes ?

Éric Chaumillon : On parle de submersion marine lorsque de l’eau de mer pénètre dans les terres, en raison d’une élévation inhabituelle du niveau des mers. Il ne faut pas confondre cela avec l’érosion du littoral, qui désigne le recul du trait de côte, même si les deux phénomènes agissent parfois de concert – il peut arriver qu’une submersion entraîne de l’érosion, ou à l’inverse, que celle-ci favorise un épisode submersif. La submersion touche principalement des zones dominées par la marée, c’est-à-dire les estuaires, les lagunes ou encore des baies où les dunes littorales offrent peu de résistance. Il convient de distinguer deux types de submersion : il y a ce qu’on appelle la submersion « lente », qui est liée à l’élévation globale du niveau des mers, laquelle est elle-même liée au réchauffement climatique (à cause de deux raisons principales : la fonte des glaces et la dilatation des océans). On la dit « lente » parce que c’est de l’ordre de 4 mm par an – soit 40 cm par siècle – en moyenne sur la planète Terre. Et il y a la submersion rapide, qui désigne une élévation locale et très rapide du niveau des mers, principalement liée à deux facteurs principaux : soit les tempêtes, soit les tsunamis. Sur nos littoraux français, on est plutôt exposé aux tempêtes, même si les territoires hors métropole – dans le Pacifique ou l’océan indien, notamment – connaissent des risques de tsunamis non négligeables. Ce qui va s’avérer déterminant, ensuite, face à ce risque, c’est l’altitude de la zone littorale, et on constate de très fortes inégalités par rapport à ça : il y a des côtes qui sont hautes et rocheuses, et puis il y a des côtes qui sont tellement basses qu’elles sont déjà sous le niveau des plus hautes mers, aujourd’hui. Parmi les zones les plus vulnérables, on retrouve la Camargue en Méditerranée, et le marais poitevin, ainsi que les tous les marais charentais.

Assiste-t-on à une accélération de ce phénomène ?

E. C. : On mesure une élévation sensible du niveau des mers depuis la révolution industrielle : avant, on était sur une élévation extrêmement lente, d’une vingtaine de centimètres en 2 000 ans. Mais depuis le début du XIXe siècle environ, on a eu plus de 20 cm d’élévation, donc on peut parler de véritable accélération. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’avec le changement climatique, il y a comme un double effet : en plus de l’élévation du niveau des mers, l’augmentation de l’intensité des tempêtes accroît également le risque de submersion.

Quel est le niveau de responsabilité humaine, derrière ça ?

E. C. : Les responsabilités sont multiples : il y a bien entendu celle dans le réchauffement climatique, et de ce point de vue là, il est donc urgent de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Comme le dit bien la climatologue Valérie Masson-Delmotte, chaque dixième de degré compte, et notre première ambition collective devrait être de ne pas induire d’élévation de température pour réduire l’élévation du niveau des mers. Mais nous avons également une responsabilité dans l’aménagement du littoral, que nous avons rendu vulnérable. Les côtes, lorsqu’elles sont laissées à leur libre évolution, reçoivent des sédiments de la mer leur permettant ainsi de s’élever à mesure du niveau de l’eau. Mais nous avons déréglé cela en créant des polders à des fins agricoles, avec une volonté de maîtriser la circulation de l’eau – résultat, les sédiments n’arrivent plus et ne protègent plus les sols près du niveau des mers.

Eric Chaumillon

 

Quelles sont aujourd’hui les solutions envisagées pour réduire ce risque ?

E. C. : D’abord, il convient de mieux anticiper et ne pas attendre qu’une nouvelle catastrophe advienne pour remettre le débat à l’agenda. La dernière grande submersion marine, ce fut lors de la tempête Xynthia en 2010. Cela avait été extrêmement brutal, on avait soudainement pris conscience que les submersions pouvaient être catastrophiques, provoquer des morts et coûter très cher. Mais qu’a-t-on pris comme décision, à la suite de ça ? Il n’y a pas eu de profonde remise en question, alors même qu’il faut opérer un véritable changement de paradigme. Nous restons dans l’héritage du technosolutionnisme, c’est-à-dire que nous continuons de vouloir résoudre tous nos problèmes avec de la technologie, de l’aménagement, etc., alors que nous en voyons toutes les limites. Ce que la communauté scientifique défend aujourd’hui, dans la lignée du dernier rapport du Giec, c’est la renaturation et la préservation de ces écosystèmes littoraux, qui font tampon devant ces variations climatiques et nous offrent tant de services. Au lieu de lutter contre la nature, travaillons avec elle !

Concrètement, faut-il envisager la fin de toute construction en bord de mer ?

E. C. : Aujourd’hui, on n’a déjà plus le droit de construire trop près de la côte, dans certaines zones basses. Mais il y a des solutions intermédiaires, qui ne sont pas si violentes, qui peuvent par exemple consister à penser des installations amovibles – qu’on installe en bord de mer, l’été, quand le risque de tempête est moindre, et qu’on retire ensuite l’hiver, quand les plages sont beaucoup plus soumises à l’érosion. En fait, il faut raisonner en termes de « mixité des usages » : pour des grandes villes côtières comme La Rochelle ou New York, il ne pourra pas s’agir de tout déménager, évidemment. Il faut donc maintenir une politique de « défense » de côte plus classique, avec des aménagements en dur. Mais prenez ce que New York a fait après l’ouragan Sandy, en 2012 : des zones entières de dunes côtières ont été renaturées. Aujourd’hui, on constate non seulement que ces lieux sont a priori mieux protégés, mais qu’en plus ils ont retrouvé une vraie attractivité !

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Réponse avec Explore Média et Macif

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