« Il faut continuer de protéger nos territoires de la submersion » Pascal Duforestel

Première zone humide de la façade atlantique, avec près de 100 000 hectares, le marais poitevin, qui s'étend sur 3 départements (Deux-Sèvres, Vendée et Charente-Maritime) est un écosystème particulièrement menacé par le risque de submersion. Comment y faire face, et avec quelles perspectives d’adaptation ? On en discute avec Pascal Duforestel, le président du Parc naturel régional du marais poitevin.

Temps de lecture : 6 min

à propos du contributeur

so press
Rédaction SoPress

Avec SoPress, la Macif a pour ambition de raconter le quotidien sans filtre.

Quels sont les principaux facteurs de vulnérabilité du marais poitevin, en matière de submersion ?

Pascal Duforestel : Le marais poitevin est un ancien golfe qui a été comblé et travaillé de manière ingénieuse pour réguler le cycle de l’eau. Par nature, comme tous les polders de France ou des Pays-Bas, il est très exposé aux risques de submersion, a fortiori dans un contexte de réchauffement climatique. Le marais poitevin doit gérer une masse d’eau très importante du côté de son bassin versant. Le possible cumul d’une montée des eaux de la partie maritime avec un épisode de crue – comme celui vécu l’année dernière – en cas de fortes pluies rend notre territoire d’autant plus vulnérable. Aujourd’hui, 90 % des habitations de ce territoire se trouvent à environ 3m50 en dessous du niveau de la mer.

Quels seraient les grands impacts, en cas de submersion ?

P. D. : Le cas de la tempête Xynthia, qui avait directement touché le marais poitevin dans sa partie vendéenne en 2010, nous en a donné un premier aperçu dramatique et nous a rappelé qu’on ne peut pas prendre ces phénomènes à la légère. Dans les communes les plus touchées, telles que la Faute-sur-mer (85) ou Charron(17), il y a eu des morts et des dizaines de maisons et d’infrastructures détruites. Dans les projections les plus catastrophistes, on évoque la possibilité que la mer parvienne jusqu’à Niort (79). Je prends avec prudence les prévisions « alarmistes », mais elles indiquent le niveau de danger. Les conséquences sur l’ensemble des activités humaines seraient colossales, notamment en matière d’agriculture, en touchant la grande zone de culture qui constitue la partie aval de la Sèvre niortaise. Idem pour la mytiliculture (l’élevage des moules, ndr), la moule de Charron est une appellation importante, dans l’économie locale. Avec Xynthia, les cultures ont été particulièrement touchées par l’augmentation de la salinité. Sans oublier tous les impacts en matière de biodiversité, bien entendu.

Existe-t-il un chiffrage du coût économique potentiel d’une nouvelle submersion ?

P. D. : Pas véritablement. Il n’y a pas suffisamment d’études à ce sujet, je le regrette. En France, nous avons tendance à attendre qu’une catastrophe ait lieu pour prendre en charge le problème. On ne sait pas suffisamment prévenir, on s’applique surtout à guérir.

Pascal Duforestel

 

Quel peut être le rôle d’un assureur comme la Macif face à ces défis ?

P. D. : La Macif se trouve au cœur de ces enjeux. D’abord, parce que son métier est directement impacté, à l’heure où « l’assurabilité » même de certains territoires est mise en question. Sans même évoquer la question de la tarification, pouvoir encore assurer des territoires particulièrement vulnérables est aujourd’hui en débat. Face à un avenir aussi incertain, nous avons intérêt à mutualiser nos connaissances et à travailler à une meilleure prévention plutôt que de devoir faire d’énormes chèques après les catastrophes. Mieux se préparer est un enjeu collectif.

Quelles solutions sont aujourd’hui envisagées pour réduire ces risques ?

P. D. : Comme l’explique très bien Éric Chaumillon, professeur à l’université de La Rochelle, spécialiste de la géologie marine et littorale, on ne peut plus se contenter d’outils uniquement techniques. Bien sûr, il faut continuer de protéger nos territoires au moyen de digues, par exemple, mais on sait que ce genre de solutions ne suffit plus. Il faut qu’on ait l’intelligence de combiner ces remparts à des solutions fondées sur l’observation de la nature, qui consistent notamment à « dépoldériser ». On redonne des terres à la nature, qui participe d’elle-même au système de protection par l’apport d’alluvions qui recréent des montées de niveau. Nous avons aussi engagé une politique de replantation d’arbres, qui jouent un rôle de freinage et de maintien des berges. Je pense qu’il faut aussi travailler à la question de la gouvernance et à la manière d’associer les habitants à cette lutte. Si l’on organise les choses uniquement par des décisions verticales venant d’en haut, on sait bien qu’on aura un problème d’acceptation des citoyens. Il faut essayer d’associer un maximum de monde au processus d’adaptation de ce territoire à la nouvelle évolution du climat. D’autant qu’il ne faut pas sous-estimer que cela représente une vraie remise en cause d’un mouvement séculaire qui a amené les sociétés humaines à maîtriser ces terres, contre la nature et contre la mer.

Le parc du marais poitevin s’engage depuis peu dans un tout nouveau projet européen, intitulé « Life Maraisilience » : en quoi cela consiste-t-il ?

P. D. : L’objectif est de parvenir à élaborer un observatoire du climat qui soit un véritable outil de pilotage pour les politiques publiques. Au moment d’établir leur stratégie et d’engager de grands chantiers de génie écologique, les collectivités ont besoin d’éléments d’aide à la décision plus performants, mais aussi plus transversaux. On fonctionne encore trop en silo. Cet observatoire aura donc à cœur de croiser différents enjeux, en matière de submersion, de météorologie, d’hydrologie, etc. Pour cela, nous allons travailler avec un ensemble de partenaires afin d’aider chacun, dans son domaine, à tirer les enseignements adéquats pour ne plus reproduire les erreurs du passé. Ça doit par exemple permettre aux communes de mieux travailler leurs plans d’urbanisme. Pour le milieu agricole, il s’agira plutôt de réfléchir aux modèles agroécologiques permettant de mieux s’adapter, et ainsi de suite. C’est un projet très ambitieux et propre à notre territoire, que nous engageons pour les quatre prochaines années, avec un budget total de trois millions d’euros venant de la communauté européenne. L’ambition est d’aboutir à des solutions reproductibles dans d’autres territoires européens assujettis, comme nous, à ce risque de submersion.

Article suivant