« Pendant toute mon adolescence et jusqu’à près de 30 ans, ma vie a été hantée par des pensées intrusives », se souvient Clara. Aujourd’hui quadragénaire et libérée de ce supplice, elle raconte les soirées passées à se retourner dans son lit sans pouvoir trouver le sommeil et les arrêts de métro ratés lorsqu’elle était perdue dans ses pensées négatives. « J’étais en boucle sur des épisodes de ma vie passée dont je tirais des conclusions sur le présent », précise-t-elle. Parmi les évènements qu’elle ressassait à l’infini, il y avait, notamment, une dispute avec sa grand-mère survenue dans l’enfance. Elle déroule les faits : « J’avais une dizaine d’années et nous étions en vacances chez Mamie avec mon frère. J’avais cassé une latte du lit en sautant dessus comme si c’était un trampoline et ma grand-mère m’avait fait copier des lignes en guise de punition. » Excédée, Clara lui avait alors lancé, selon son souvenir : « De toute façon tu es vieille et je ne t’aime pas ! »
Bien des années plus tard, cette phrase est revenue régulièrement pourrir les nuits de la petite fille devenue adulte. « Je culpabilisais énormément, avoue-t-elle. J’avais beau me dire que je n’étais qu’une enfant et me rappeler que je lui avais, par la suite, témoigné mille fois mon amour avant sa mort, cette phrase revenait sans cesse. » Conséquences ? Pendant des années, Clara s’est trouvée minable à tous les niveaux de sa vie. « Et puis, au cours de ma psychanalyse, dit-elle, j’ai réalisé que si cette phrase planait dans ma vie comme un fantôme, c’était en raison d’une autre parole, prononcée par mon grand frère en réaction à ce que je venais de dire à notre grand-mère : “T’es méchante, t’es plus ma sœur.” »
Des pensées automatiques non sollicitées
Marine Colombel est psychiatre à l’EPS Barthélémy Durand, dans l’Essonne, enseignante en méditation à la faculté de Toulouse 3 et autrice de Sortir des ruminations mentales (éd. Marabout, mars 2024). Lors de ses consultations, elle reçoit de nombreux patients angoissés et victimes de ces pensées parasites. « Une pensée intrusive, décrit la médecin, est une pensée automatique qui s’impose à nous sans que nous la sollicitions. C’est assez proche des phénomènes de rumination. » En général, elles suscitent un sentiment de dénigrement chez les sujets chez lesquels elles s’invitent, et les font souffrir. « Elles peuvent arriver à n’importe quel moment, mais certains sont plus propices, notamment le soir, quand on va se coucher, car on n’est plus en action », poursuit la professionnelle.
Chez Fatoumata, trentenaire parisienne, les pensées qui se glissent dans sa tête quand elle ferme les yeux, court-circuitant ses aspirations à faire de beaux rêves, sont presque toujours liées à l’argent. « C’est un truc de fou, s’emporte-t-elle. Je gagne bien ma vie et j’ai suffisamment d’épargne pour voir venir pendant des mois si jamais il se passe quoi que ce soit. Mais c’est plus fort que moi, il y a des phases où je suis persuadée que je dépense trop, que je gère mal mon budget, que je jette l’argent par les fenêtres. Et dans ces moments-là, je vérifie mes comptes sur l’appli de ma banque, je réfléchis à ce que je pourrais vendre dans mon armoire. Et, surtout, je suis très en colère contre moi, je me trouve irresponsable. » Elle explique ces angoisses par son enfance au sein d’une famille très précaire, obnubilée par la peur du lendemain.
Méditer, se dépenser, consulter
« Ces ruminations nous coupent du moment présent, analyse Marine Colombel. Elles nous enferment dans des pensées négatives et stressantes, et activent tous les symptômes du stress chronique. Et cela est délétère à différents niveaux. » Parmi les maux que ces pensées peuvent entraîner, on peut citer, pêle-mêle : des douleurs chroniques, par exemple articulaires, ou des céphalées, mais aussi, des difficultés au niveau cardio-vasculaire et un risque de dépression. Mais alors, à partir de quand faut-il s’inquiéter ? « S’il y a vraiment un sentiment de mal être, de souffrance, il faut consulter », assure la psychiatre. Et si on constate des problèmes dysfonctionnels liés à ces idées qui reviennent sans cesse, il est aussi nécessaire de se faire accompagner. Selon la professionnelle, on peut, d’abord, en parler à son médecin généraliste, qui pourra estimer qu’une orientation vers un psychologue ou un psychiatre est opportune. Elle conseille aussi de pratiquer la méditation, « un exercice de l’esprit à travers lequel on apprend à diriger notre attention vers le moment présent et ce qui se passe dans notre corps à l’instant T ». Cette technique aide à réguler ses pensées et à écarter les pensées intrusives.
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De façon plus générale, elle recommande les activités physiques en plein air, afin de libérer des endorphines tout en prenant de la vitamine D. Et d’adopter un régime alimentaire équilibré, car « avoir un microbiote anti-inflammatoire permet de diminuer la rumination ». Et ce n’est pas Clara qui dira le contraire : « Depuis que j’ai entamé une thérapie, je me suis aussi mise au running, confie-t-elle, et j’ai fait évoluer mon alimentation. Je ne me suis jamais sentie aussi bien dans ma tête et dans mon corps ! »
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